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d’une époque dont M. Jouffroy fut un des plus dignes représentans.

Il était né vers la fin du dernier siècle ; il avait été élevé dans les croyances chrétiennes et dans les sentimens patriotiques, dont l’union trop rare se retrouve encore au sein des modestes populations de quelques-unes de nos provinces frontières. Aussi les montagnes de la Franche-Comté lui sont-elles toujours restées chères comme le berceau de son enfance, et comme l’asile où il s’était formé au pieux amour du devoir et de la liberté. L’esprit de sa patrie et de sa famille l’animait encore tout entier lorsqu’il vint à Paris pour entrer à l’École normale.

C’était vers la fin de l’empire (1813). Quel temps pour le premier éveil d’une noble intelligence !

On se plaint amèrement de l’état des esprits. La critique gémissante est à la mode, et, s’il en fallait croire la société actuelle sur la valeur de ses œuvres et de ses idées, la tristesse devrait le disputer à l’effroi, une gravé maladie morale aurait atteint le monde. Mais quoi ! ces lamentations ont-elles si neuves qu’elles doivent beaucoup nous troubler ? n’est-ce pas la redite éternelle de ce que nous entendions, il y a quelque vingt, ans ? Il est vrai, d’autres bouches alors parlaient ainsi, et ce langage était plus recevable de la part des adversaires que nous avions à combattre. Déplorer le présent convenait de tout point aux représentans du passé, temporis acti ; mais lorsque aujourd’hui nous nous prenons à les imiter et que nous entonnons le chant funèbre sur le dépérissement des croyances, l’anarchie des intelligences et toutes les calamités à la mode, ne risquons-nous pas d’avoir bien mauvaise grace et de rappeler les Gracques se plaignant de la sédition ? Tout n’est pas bien aujourd’hui assurément ; qui voudrait pourtant changer de siècle ? Le plus grand mal est peut-être dans ce découragement qu’on étale, dans ce scepticisme dont on se vante. Au fond, le monde est moins incrédule qu’il ne dit.

Mais quand l’on se montre si sévère pour le temps présent, qu’aurait-on dit il y a trente ans ? Qu’était-ce que l’état des esprits aux derniers jours de l’empire, avant la restauration ? Que pensait-on alors ? Et qui s’avisait de penser ? Et que pouvait-on croire ? Quelle grande idée ne passait pas alors pour une chimère ? On était revenu de toutes choses, de la gloire comme de la liberté. La politique ne connaissait plus de principes ; la révolution avait cessé d’être en honneur, mais ses résultats matériels n’étant pas contestés, elle ne se plaignait pas. La morale se réduisait graduellement à la pratique des vertus utiles ; on l’appréciait comme une condition d’ordre, non comme une source