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regarder les ombres s’allonger sur la surface unie du lac. Un soir, j’entendis les pas d’un cheval retentir sur les pavés du chemin ; c’était un vieux chef mahratte, revêtu de son harnais de guerre, qui trottait sur un petit coursier blanc à jambes fines, richement caparaçonné la housse, jadis somptueuse, la bride rehaussée de torsades en coton rouge, mais usée, attestaient de longs services. Le vieillard portait une double cuirasse de fer, il avait dans sa ceinture, roulée en écharpe, un long poignard ; l’orbe du bouclier pendu au pommeau de sa selle frappait sans cesse la garde du cimeterre et rendait un son métallique pareil au tintement de la cloche qui s’efface dans le lointain. Où se rendait ce chevalier à barbe blanche, coiffé du turban de mousseline, paré comme un jour de bataille ? Son écuyer le suivait respectueusement, tenant à la main le narguilé incrusté d’argent ; il courait après son maître avec une certaine résignation. Peut-être le vieux chef de clan, se trompant de siècle, faisait-il par habitude le tour de ses anciens domaines ; peut-être voyait-il encore dans son imagination les bandes armées se lever à sa voix et gravir les montagnes ! Le jeune Hindou qui sonnait de la conque, debout sur les marches de la pagode, au bord de l’île, dut le prendre pour un fantôme. Au même instant, un coup de fusil tiré assez près du chemin vint troubler tout le silence du paysage ; c’étaient deux caporaux anglais qui chassaient les tourterelles dans les manguiers plantés jadis par le pechwa !

Voilà ce que sont devenus les peuples les plus redoutables de l’Inde après les Radjpoutes. Habitués au fédéralisme, ils n’ont pu se résoudre à se fondre en un seul royaume ; turbulens et indisciplinés, ils ont rejeté bientôt avec dédain l’idée d’un pouvoir central qui aurait fait leur force. Désormais leur indépendance est perdue, et leur nationalité n’est qu’une illusion. Sur les huit royaumes qui forment aujourd’hui les états mahrattes, il n’en reste pas un seul qui jouisse d’une ombre de liberté, à moins qu’on ne regarde comme indépendans ces souverains de deux ou trois des plus petites de ces principautés auxquels il est permis de s’occuper de leurs affaires domestiques Le radjah de Bérar (Nagpour), qui compte dans ses domaines une population de deux millions cinq cent mille ames, paie le tribut et fournit un contingent de mille cavaliers. La famille de Holcar, amoindrie par des cessions forcées de territoire, condamnée à un tribut et à un contingent trop considérables, se trouve représentée par un enfant que le résident gouverne ainsi que ses états. Les grandes et belles provinces du Scindia (Gwalior), qui à la fin du dernier siècle menaçaient de reconquérir tout l’empire mahratte avec des armées de 80,000 hommes, dont 60,000