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avaient conquis l’Italie à vingt-cinq ans, que Richelieu était ministre à trente-un ans, que Bolingbroke et Pitt l’étaient avant vingt-quatre, qu’Innocent III et Léon X ceignaient la tiare dans leur trente-septième année ? Cette énumération fera toujours battre de jeunes cœurs : elle n’allumera jamais le génie là où ne brûle pas l’étincelle divine. N’est-elle alors qu’une épigramme contre les ministres actuels de l’Angleterre ? Je doute que le coup porte juste : des hommes comme lord Stanley et M. Gladstone ne peuvent-ils pas être comptés parmi ceux qui sont parvenus de bonne heure à une distinction élevée ? Sir Robert Peel avait à peine dépassé sa vingtième année qu’il était déjà dans les grandes affaires, et pour attacher son nom à une des mesures législatives qui ont eu le plus d’influence sur la situation économique de l’Angleterre, la reprise de la circulation métallique, il n’avait pas attendu d’avoir l’âge auquel M. d’Israeli a écrit Coningsby.

Une pensée semble surtout préoccuper M. d’Israeli, c’est la nécessité de rétablir l’ascendant individuel, l’autorité des grands talens et des grands caractères, pour l’opposer aux influences de castes qui se partagent l’Angleterre. Suivant lui, l’Angleterre se trouve placée aujourd’hui dans l’alternative d’appartenir ou à ce qu’il appelle mystiquement l’infidélité politique, — il désigne ainsi le parti conservateur, — ou au parti réformiste, qu’il qualifie de secte destructive. Pour échapper à ce sinistre dilemme, il ne voit qu’un moyen, et il paraît que c’est à ses yeux le dernier mot de la jeune Angleterre : ne pas abandonner la puissance aux classes, restaurer la prépondérance de la couronne, le seul pouvoir, dit-il, qui n’ait aucune sympathie exclusive. Or si M. d’Israeli ne veut pas, et il l’assure, abolir les formes parlementaires, que pense-t-il obtenir par de pareils vœux en faveur de l’influence de la royauté ? Ce ne sont pas des paroles qui créent des influences de cette nature, c’est la force des choses : elles ne se donnent pas, elles se conquièrent. Je m’explique ici la pensée de M. d’Israeli : M. d’Israeli est effrayé des obstacles qui entravent le chemin du pouvoir, lorsque le pouvoir est le prix de la lutte des intérêts et des influences collectives ; il croit que la fortune des hommes de talent serait plus assurée, confiée à l’autorité d’un souverain intelligent, que livrée aux chances des combats du sénat ou du forum. Pour que M. d’Israeli et ses amis s’abandonnent à cette illusion, il faut que les difficultés auxquelles leur ambition s’est heurtée aient singulièrement obscurci à leurs yeux les leçons de l’histoire. La jeune Angleterre professe pour le souvenir des Stuart une sorte de dévotion : quels modèles de discernement lui offrent Jacques Ier et le roi martyr dans le choix de leurs