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profondément le pays. Je n’ai pas la prétention de rechercher ici comment, tandis qu’en France un mouvement historique sensible depuis huit siècles a progressivement confondu en une seule force, en un seul intérêt, en une nationalité unie et compacte, toutes les forces, touts les intérêts, toutes les races qui se partageaient notre territoire, en Angleterre un mouvement politique opposé a semé des germes de division sans cesse grandissans. J’observe la situation telle qu’elle s’est révélée depuis la paix, mettant en présence un intérêt de classes moyennes contre un intérêt aristocratique, un intérêt de liberté commerciale contre un intérêt de monopole agricole, un intérêt d’émancipation religieuse contre un intérêt d’église privilégiée, enfin un intérêt irlandais contre un intérêt anglais : cette lutte montre des forces nouvelles attaquant des forces anciennes, des principes d’équité attaquant des faits injustes ; d’un côté une marche envahissante, de l’autre des positions déjà envahies ; d’un côté des intérêts qui ont beaucoup à conquérir et qui doivent gagner quelque chose, de l’autre des intérêts qui ont beaucoup à perdre et qui doivent perdre quelque chose. Sous cet aspect, il semble que les positions soient nettement dessinées, et que de grands partis doivent se former de la coalition des intérêts qui ont à conquérir et de la coalition des intérêts qui ont à perdre. De ces deux coalitions, l’une répond à la vieille dénomination de whig, l’autre à l’ancien nom de tory : les hommes d’état qui se trouvent à la tête de la première ont pris leur point d’appui sur l’intérêt réformateur ; ceux qui conduisent la seconde empruntent leurs forces à l’intérêt de conservation. Dans l’opposition, qu’ils gardent leur couleur systématique et tranchée, qu’ils demeurent dans la vérité de leur rôle, le devoir et l’intérêt le leur commandent ; mais, au pouvoir, les nécessités de situation se modifient, les perspectives s’élargissent, le point de vue national domine forcément le point de vue exclusif de l’esprit de parti. Obligés de concilier les principes qu’ils représentent avec les nécessités indiquées par l’intérêt de gouvernement, il leur est impossible de ne pas blesser, de ne pas sacrifier en maintes circonstances quelques-uns des intérêts qui les ont portés aux affaires.

La conduite de l’homme d’état autour duquel le parti tory s’est rangé depuis le bill de réforme était simple, facile, naturellement tracée, tant qu’il est demeuré sur les bancs opposés à ceux de la trésorerie. Le manifeste qu’il adressa aux électeurs de Tainworth en 1834, durant son rapide passage aux affaires, après la retraite de lord Althorp, était un excellent programme d’opposition. Sir Robert Peel appelait à lui les réformateurs modérés, et préparait son alliance avec lord