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pas justifiée. Cela me semble peu loyal et peu digne d’exposer un homme au mépris, sous un travestissement, à la faveur duquel l’agression se dispense de la franchise. Dante nommait ses ennemis en les mettant dans l’enfer, et ceux que Michel-Ange plaçait parmi les réprouvés étaient avertis par une ressemblance sur laquelle ils ne pouvaient eux-mêmes se méprendre. M. Macaulay, dans cet article de la Revue d’Édimbourg où il releva, avec une verve si inexorable, les bévues commises par M. Croker dans son édition de Boswell, montrait que l’ancien secrétaire de l’amirauté peut être attaqué avec plus de vaillance, et frappé cependant avec non moins de dureté. Le Rigby du roman est le représentant d’une classe d’individus qui ont joué, en Angleterre, surtout avant le bill de réforme, un rôle assez considérable. Hommes d’une origine obscure, mais préparés à la fortune par la souplesse de leur caractère et y arrivant par leur domesticité auprès des grands seigneurs ; de talens médiocres, mais doués de ce coup d’œil instinctif qui suffit à l’égoïsme pour démêler ses intérêts esprits communs, au-dessous de toutes les grandes idées, mais capables de cette application à de vulgaires détails par laquelle se gagne le renom d’homme pratique ; intelligences étroites, mais habiles à se servir de l’esprit d’autrui ; puis, surnageant à tout cela, une vanité prodigieuse, une bonne opinion de soi, si convaincue, si sincère, si bien sanctionnée par le succès, qu’elle finit par persuader le gros du public : voilà les Rigbys. Le Rigby du roman a obtenu, par sa servilité, d’être l’agent de lord Monmouth ; dirigeant l’influence parlementaire et les bourgs-pourris du marquis, pendant les longs séjours de celui-ci sur le continent, il a acquis assez d’importance pour obtenir un poste élevé dans l’administration, et il fortifie son influence en écrivant pour les revues de slashing articles, comme les appellent ses ridicules admirateurs, des articles qui pourfendent. A côté de. Rigby, comme pour l’éclairer par le contraste, M. d’Israeli fait entrevoir le caractère d’un véritable homme d’esprit, de Lucian Grey, dont Rigby exploite le brillant entraînement et la légèreté désordonnée. Ici l’original qui a posé de profil devant M. d’Israeli est Théodore look, l’auteur des Sayings and Doings, le rédacteur du John Bull, cet écrivain qui a été pendant tant d’années le bouffon de l’aristocratie anglaise, qu’il amusait par ses romances et par ses bons mots, par l’intarissable saillie de son improvisation, et par la perfection burlesque de son talent mimique, enfant prodigue de la fantaisie, dont la vie perpétuellement tourmentée s’est brisée enfin au milieu de ces applaudissemens du monde qui, à défaut de considération, ne lui apportèrent pas même le bien-être.

Rigby est la médiocrité qui réussit. Le plus grand inconvénient