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qui ont, comme lui, à se plaindre, du ministère. À ces influences coalisées par Vivian Grey, il manque un organe dans la chambre des communes : un seul homme pourrait remplir cette haute position, c’est Cleveland ; mais cet éloquent orateur a été précisément éloigné de la vie politique par les dégoûts dont l’a abreuvé le protecteur de Vivian Grey. Cependant le jeune intrigant parvient à le réconcilier avec le marquis. Les plans ambitieux de Vivian sont à la veille de réussir. Lui-même, aux élections qui vont avoir lieu, il doit entrer à la chambre des communes, lorsque tout à coup une femme qu’il avait insultée rompt la maille de son intrigue. La coalition se dissout. Chassé du château du marquis, provoqué au milieu d’un club par Cleveland, qui croit avoir été joué par lui, Vivian est forcé de se battre avec l’homme qu’il admire, et il le tue. Après avoir consommé ainsi lui-même la ruine de ses rêves, Vivian, cruellement guéri de l’ambition, quitte l’Angleterre. Là finit réellement le roman je ne sais pourquoi M. d’Israeli fait courir encore à son héros trois volumes d’aventures fantastiques en Allemagne. Malgré les invraisemblances délibérément commises, il faut le dire, qui abondent dans Vivian Grey, bien que toutes les règles de proportion y soient outragées, dans la partie que je viens d’analyser, plusieurs pages se lisent avec intérêt. L’entraînement du style rend quelquefois avec bonheur les mouvemens fiévreux de l’intrigue, le dialogue court avec verve et hardiesse ; on y rencontre plus d’un trait frappé au bon coin de cette mordante impertinence, de cette tranchante ironie, de ce coupant si aimé des Anglais, qu’on pourrait appeler le sel britannique.

Je ne croirais pas être juste envers M. d’Israeli, si je ne disais un mot d’Henrietta Temple. C’est le livre le plus agréable qu’il ait écrit, et c’est de toute manière un charmant livre. M. d’Israeli y a rencontré l’harmonie exacte des qualités aimables et brillantes de son ame et de son esprit. Henrietta Temple, le second titre l’indique, est une histoire d’amour, a love story. C’est une lecture unie, douce ; vous n’y éprouvez jamais les transes horribles que vous inspirent les soubresauts épileptiques de l’action dans tant de romans forcenés. Je ne voudrais pas déflorer cette narration attachante par une aride analyse. L’auteur y a mis en scène une de ces vieilles familles catholiques, qui, en conservant intacte la foi de leurs pères, ont ajouté une autre et plus pure noblesse à celle de leur blason. Il s’exhale de ces vieilles maisons anglaises demeurées catholiques je ne sais quel parfum de mœurs pures et naïves, de vertus primitives et bénies, bien senti déjà par plusieurs romanciers, parmi lesquels il faut citer l’auteur de