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peut encore, avec une aimable prestesse, secouer sur la conversation les étincelles d’un enjouement spirituel : tel est le mérite au renom duquel semble avoir prétendu M. d’Israeli. Après les brillans échantillons qu’il en a donnés, on aurait tort de le lui contester. Pourquoi lui reprocherait-on davantage de borner là son ambition ? Parce que l’on a pris son parti de n’être ni Walter Scott ni Byron, est-il à dédaigner de se faire sans trop d’effort une distinction dans le monde des qualités de son esprit, comme tant d’autres s’en font une du choix de leurs cravates ou de la généalogie de leurs chevaux ? À ce point de vue, les jeux littéraires sont un sport qui ne le cède à aucun autre parmi ceux qu’honore le club des jockeys.

Vivian Grey, publié en 1827, pouvait être considéré, pour les promesses de talent qu’il donnait, comme un début remarquable, surtout si l’on songe que M. d’Israeli n’avait pas dépassé de beaucoup sa vingtième année, lorsqu’il l’écrivit. Je parlerai de Vivian Grey, parce qu’on y voit que l’ambition politique n’a pas été chez l’auteur une préoccupation tardive. M. d’Israeli y montrait la crainte que la critique ne voulût lire ses propres aventures à travers celle de Vivian Grey, et il protestait contre cette interprétation de son œuvre : il ne faut donc pas chercher dans ce livre des allusions à la carrière de M. d’Israeli ; je le veux bien. Cependant au moment où M. d’Israeli se présente à nous avec un roman politique, il peut y avoir un intérêt de rapprochement à rappeler sa première pointe dans cette voie. Vivian Grey est fils d’un homme de lettres doué d’un esprit aimable, d’une fortune honnête et d’une précieuse modération de caractère. Il s’en faut que Vivian apporte dans la vie ce philosophique dédain des grandeurs agitées, qui a permis à son père de humer avec un spirituel épicuréisme les plaisirs de l’intelligence et de la fortune. Vivian Grey entre dans le monde, altéré d’ambition ; comme il est Anglais, je n’ai pas besoin de dire que son ambition est politique. En impétueux jeune homme qu’il est, Vivian marque son but au plus épais de la mêlée : il veut créer un parti. En ce temps-là, la jeune Angleterre n’était point encore inventée : il ne s’agissait pas encore de marcher sur la redoute du pouvoir, en faisant onduler un étendard brodé de théories. L’amitié d’un lord, propriétaire de plusieurs bourgs-pourris, valait mieux que tous les principes du monde. Aussi Vivian Grey, sans s’inquiéter d’aucune profession de foi politique, s’insinue-t-il dans les bonnes graces d’un noble marquis qui a été long-temps ministre. Il persuade à cet homme d’état émérite de travailler à rentrer aux affaires. Devenu son agent, il lui fait nouer des alliances avec d’importans personnages