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passer bien des heures assez douces en effet, des heures désabusées, monotones, mais tranquilles, dans lesquelles il goûtait le plaisir philosophique et sévère d’appliquer indifféremment son esprit, de sentir son instrument exact et sur fonctionner sur des objets bien déterminés.

Un homme de haute et sagace observation (M. Rossi) divise tous les esprits en deux : classes, quels que soient d’ailleurs leur qualité et leur degré : 1° ceux qui apprennent, qui sont en train d’apprendre, jusqu’au dernier jour ; 2° ceux (non pas moins distingués souvent) qui s’arrêtent à une certaine heure de la vie, qui disent non au but d’avenir, et se fixent à ce qu’ils croient la chose trouvée. M. Daunou était de ces derniers esprits ; arrêté de bonne heure quant aux idées, rédigé et fixé à un point qu’il jugeait celui de la perfection, il n’en sortait pas. Quelque paresse du fond se cache ici sous le labeur extrême du détail. Cet état n’est pas sans charme, je ne sais qui a dit : « Etudier de mieux en mieux les choses qu’on sait, voir et revoir les gens qu’on aime, délices de la maturité » M. Daunou, sans doute, étudiait, lisait toujours des pages nouvelles, des détails nouveaux, mais il les faisait rentrer dans la même idée. — Toutes les fois que certains sujets revenaient, il redisait invariablement les mêmes choses (solebat dicere) ; il ne croyait pas qu’il y eût, sur aucun point connu, deux manières de bien dire et de bien penser.

M. Guérard a remarqué que M. Daunou se raillait volontiers de l’érudition, ce qui parait singulier de la part d’un, érudit. C’est que M. Daunou était plutôt un homme parfaitement et profondément instruit, et un savant écrivain, qu’un érudit à proprement parler.

Il en est de l’érudit comme du moraliste : il sait une quantité de points dans le vaste champ de la littérature et de la critique, comme l’autre dans le champ de l’observation humaine ; il s’y attache, il s’y enfonce, il en tire lumière ou plaisir, il se les exagère parfois. L’érudit a sa verve, son entrain, voisin de l’engouement. La conversation de M. Daunou annonçait plutôt les caractères d’un esprit parfaitement instruit et judicieusement méthodique ; il savait et retenait les choses essentielles ; quant aux curiosités, aux raretés, à ces autres points essentiels encore, mais plus cachés, il les savait moins et ne les faisait point saillir. Il n’en savait guère plus sur beaucoup de sujets que ce qu’il en avait écrit ; l’érudition qui vient de source déborde bien autrement. Lui, quand il se laissait aller à sa nature, c’est-à-dire à sa culture favorite, il citait de préférence quelque beau trait, quelque beau mot, un beau vers latin, en homme de goût et d’une suprême rhétorique,