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des anciens, qu’il lut à l’institut en mai et octobre 1812, qui fit bruit alors, et qu’il avait ensuite comme retiré. C’est ce que l’auteur s’est permis religieusement de plus hardi ; on se demande, en le lisant, où est cette grande hardiesse, tant il l’a encore voilée. Il résulte pourtant de la pensée du mémoire que, sous ces noms divers et assez vagues du destin et de ses synonymes, les doctrines de la Providence et d’un Dieu intelligent, éclairé, étaient déjà celles des sages anciens, et que par conséquent le christianisme n’aurait pas eu à innover à cet égard autant qu’on l’a dit ; c’était comme un dernier trait hostile que Daunou rapportait du séjour de Rome, une arme d’idéologue sourdement forgée à l’ombre du Vatican. Il concluait, du reste, tout comme dans sa discussion sur l’imprimerie, avec sa prudence apparente : « La pneumatologie (on dirait aujourd’hui la psychologie ou l’ontologie ; mais il affecte un mot qui sent la physique pour rabaisser l’objet) est de sa nature une science que ne peuvent étendre ni nos expériences immédiates, ni les relations ou les témoignages, à moins qu’ils ne soient surnaturels. L’esprit de l’homme y tourne dans un cercle fort étroit ; il peut bien varier les aspects ; mais ce sont toujours les mêmes objets qu’il contemple, et par conséquent les mêmes notions qu’il exprime par différens signes. Combien donc sont à déplorer les dissensions cruelles auxquelles l’inévitable diversité de ces signes a servi de cause ou de prétexte, et qu’il semble aisé de comprendre qu’en de telles matières le plus sûr moyen d’être équitable et raisonnable, c’est d’être fort tolérant ! » Boileau, dans sa satire de l’équivoque, a parlé des chrétiens martyrs d’une diphthongue, et Voltaire, à son tour, s’est égayé là-dessus. Est-ce à dire pourtant qu’entre Sénèque et saint Paul ce n’eût été qu’une querelle de mots ? — Ce mémoire donnerait une fausse idée des opinions philosophiques de l’auteur, si l’on y voyait des conclusions expressément déistes. Daunou restait en-deçà ; il était sceptique en ces matières, à la façon de Gabriel Naudé, et suivait volontiers, comme lui, l’axiome des jurisconsultes : Idem judicium de iis quæ non sunt et quæ non apparent. Ce qui ne tombe pas immédiatement sous les sens, ou ne peut s’en déduire avec précision, est absolument pour nous comme n’existant pas.

On conçoit qu’obligé de rentrer sa politique en 1802, Daunou se soit dédommagé en donnant plus de jour à sa philosophie : en 1814, le triomphe des influences religieuses l’obligea au contraire de rentrer à jamais cette philosophie ; il put s’en dédommager en revenant, bien qu’avec quelques gênes, à ses théories et doctrines politiques. Les évènemens contradictoires des premières années lui apportèrent bien des