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places à sa désignation dans les Archives, y nomma son ami ; lorsque Napoléon dut ratifier le choix, il le fit en disant : « Voilà un tour que Daunou m’a joué. » A partir de cette date, ou plutôt même depuis 1799, Chénier et Daunou se virent presque tous les jours, et ils eurent l’un sur l’autre une réciproque et salutaire influence. Un satirique spirituel, alors très lié et depuis brouillé avec eux, allait répétant à qui voulait l’entendre que, dans ce commerce habituel, si Daunou enseignait à Chénier la grammaire, celui-ci lui enseignait en retour l’immoralité. Ce sont là de ces méchans propos avec lesquels il est possible de tout flétrir. Le fait est que Daunou inspirait à Chénier le goût de l’étude et des bons modèles, le culte de la diction sévère, et que l’autre lui rendait du mouvement et du monde, exhalait devant lui en toute liberté son amère connaissance et inévitablement son mépris des hommes. Des témoins (et il y en avait peu) m’ont dit que lorsque Chénier, déjà atteint de la maladie dont il mourut, arrivait là, se remettait en haleine et entrait en verve, lorsqu’à dérouler les infamies d’alentour et les palinodies qui le suffoquaient, son accent éclatait avec colère, et que son œil noir lançait la flamme, il était beau et terrible ainsi. Daunou vit dépérir de jour en jour cet ami précieux, le visita jusqu’à l’instant fatal, recueillit ses manuscrits, publia ses œuvres, lui rendit enfin tous les suprêmes devoirs ; il n’en parlait jamais que comme d’un homme dont le talent dans ses derniers efforts s’acheminait au génie. Depuis la mort de Chénier, il n’eut plus d’autre ami intime ; ce cœur, une seule fois ouvert, se referma.

L’année même de cette mort, en août 1811, il était chargé par l’empereur d’aller à Rome pour faire expédier en France les archives pontificales, avec recommandation très expresse de n’oublier la bulle d’excommunication de juin 1809, s’il pouvait s’en saisir. Aussitôt après l’arrivée et le premier classement des pièces, Napoléon les alla visiter à l’hôtel Soubise ; il demanda tout d’abord, il prit et serra dans sa main la boite qui renfermait la bulle de son excommunication, et un sourire indéfinissable de triomphe et d’orgueil lui échappa.

« … Aussi l’excessif et profane usage de ces anathèmes les a-t-il décrédités à tel point, qu’il serait aujourd’hui presque aussi ridicule de les craindre que de les renouveler. » Daunou avait écrit cela dans la conclusion de son Essai ; il put voir à ce sourire si le maître était tout-à-fait de cet avis indifférent.

On n’a imprimé que depuis peu[1] un mémoire de Daunou sur le falum

  1. Tome XV des Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.