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parfait (ad unguem) en ce genre de littérature critique, modérée et ornée. Les dernières phrases du discours sur Boileau étaient un hommage à Napoléon : « Aujourd’hui, que toutes les émulations renaissent à la voix d’un héros couvert de toutes les gloires, etc. Dans l’édition de 1825, cette conclusion a disparu et se trouve remplacée par une violente sortie contre la littérature romantique. J’aurais mieux aimé, même au nom du goût, que l’éloge de Napoléon restât.

Il faut oser le rappeler : tous les écrits que publia à cette époque l’honnête homme légèrement intimidé paient le tribut obligé d’éloges au dominateur tout-puissant, et ils portent à une certaine page le contre-seing impérial pour ainsi dire. Je ne lui en fais point un reproche mais bien plutôt d’avoir passé, depuis lors, à un dénigrement sans mesure[1]. La Fayette n’a pas négligé de relever en ses Mémoires une de ces inconséquences du républicain de l’an III qui renonçait sous l’Empire à rester un grand citoyen : « Malgré l’assertion, dit-il (tome V, page 231), qu’un citoyen distingué, M. Daunou, a paru adopter dans un écrit récent, il n’est pas vrai que l’autorité arbitraire puisse suppléer aux principes d’une administration nationale » M. Daunou avait écrit quelque chose de tel dans sa notice sur Rulhière[2]. Plus tard, en 1811, il lui échappait de dire à M. Joly, un de

  1. Voir, dans la conclusion du livre des Garanties individuelles, ce qu’il dit de l’aventurier ; l’invective y déborde : « … Il deviendra, au dehors autant qu’au dedans, un potentat formidable dont les princes flatteront l’orgueil, couronneront la tête impure, rechercheront l’ignoble alliance. » L’auteur n’a pas l’air d’admettre qu’au dedans on ait pu servir l’Empire par d’autre motif que par corruption et par cupidité. Il termine le hideux portrait en montrant l’ennemi du monde se précipitant lui-même, du faîte de sa puissance artificielle, dans la profonde ignominie de ses propres vices. Cette page des Garanties est fâcheuse ; elle le serait encore, même sans qu’on la rapprochât de certaines autres pages de 1807-1812.
  2. Pages VI et VII : il ne fait qu’énoncer en cet endroit et développer avec une sorte de complaisance l’opinion de Rulhière. La Fayette put y relever bien d’autres passages : « C’est à la suprême loyauté du chef de l’Empire et à l’invariable « libéralité de ses sentimens et de ses pensées, que le public devra la pureté du texte de cette histoire. » Napoléon voulait se faire de cette publication un auxiliaire dans sa campagne de 1807 contre les Russes ; on imprima en toute hâte afin de pouvoir arriver à temps et rejoindre la victoire : « L’indépendance de la Pologne, s’écriait vers la fin l’éditeur en haussant le ton, est un intérêt de l’Europe autant qu’un droit des Polonais, et la renaissance de ce vertueux peuple sera l’un de ces vastes bienfaits dont l’histoire de Napoléon se compose. Qui leur enseignera mieux que lui à se prémunir contre toute domination étrangère par l’énergie de l’administration intérieure… ? De qui pourront-ils mieux apprendre qu’aucune illustration vieillie n’égale celle qui éclate ; qu’aucun nom suranné ne vaut un nom qui s’immortalise… ? » Tout ceci est éloquent, et reste assez vrai pour qu’il n’y ait pas eu tellement à s’en repentir.