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Daunou, à la Convention et dans les diverses assemblées dont il fit partie, comme dans son enseignement public, n’improvisait pas ; il écrivait toujours et récitait avec nombre. Il y a plus, il croyait peu à l’improvisation chez les autres, et n’estimait guère que le discours écrit. Il se méfiait de la parole vivante. Cela tenait chez lui à tout un ensemble de jugemens et d’habitudes dont nous retrouverons le pli en mille sens, et ce n’était qu’un cas particulier de la préférence déclarée ou même de l’estime exclusive qu’il accordait en toutes choses à la méthode, à la précision, à la perfection de diction au préjudice de l’esprit d’enthousiasme et de saillie. Il calomniait même l’improvisation, et ne voyait pas qu’en allant en gros au plus pressé, le bon sens trouve souvent son compte ; il pensait que l’improvisation et le peu de précision qu’elle entraîne d’ordinaire avaient contribué à tout perdre dans les assemblées publiques ; il aurait voulu qu’on pût être astreint, à la tribune, à se servir d’une sorte de langage analytique, algébrique, où l’expression ne dépassât jamais l’idée : chimère de Condorcet ! L’homme de cabinet et l’écrivain, chez Daunou, mettaient donc toujours le cachet à l’orateur, et parfois le scellé. Cours public et discours politique, il rédigeait le tout comme un rapport, il couvrait des pages entières d’une écriture serrée, minutieuse, distincte, des pages écrites jusqu’au bord, sans marge, et pleines comme sa vie.

Après son grand acte du vote dans le procès de Louis XVI, et avant les jours de proscription, Daunou prit part encore aux débats sur la constitution de 93, et il publia, contradictoirement au plan d’éducation nationale de Robespierre, un Essai sur l’instruction publique. Comme nous ne prétendons nullement donner ici une biographie complète, nous pourrions nous taire sur ces divers contre-projets de Daunou, ou nous borner à en louer la sagesse, du moins la sagesse relative ; mais il y a lieu d’en tirer quelques vues directes pour l’étude de l’homme et de l’écrivain. En faisant la part de ce qui pourrait être concessions et en y cherchant les seules convictions, celles-ci apparaissent assez à nu : on y saisit au vif ce que Daunou est bien radicalement, à savoir, le disciple de Sièyes et de Condorcet, le sectateur et l’organe des méthodes dernières qu’avait produites le XVIIIe siècle, et dont ce siècle, soi-disant sans foi, était finalement idolâtre, pour ne pas dire esclave. S’agit-il de la déclaration des droits de l’homme et du Citoyen, peu s’en faut que Daunou n’attribue bon nombre des maux qui ont éclaté depuis 89 au manque de méthode et de précision qui s’est glissé dans la déclaration première : « Tous ceux qui avaient