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chevalier de Cubières au marquis de Ximènes mit en cause M. Daunou, à qui on ne pouvait guère reprocher pour toute inexactitude que d’avoir confondu Charles Perrault avec son frère le médecin : on lui imputait de plus (ce qui était faux) d’avoir appelé écrivains obscurs, littérateurs subalternes, tous ceux qui n’avaient pas admiré Boileau. « Cette manière de s’exprimer, disait-on, peut avoir cours à l’Oratoire ou dans les collèges de l’Oratoire, mais à Paris on parle plus poliment. » M. Daunou répliqua dans le Journal encyclopédique par une lettre[1], suivie à distance de deux articles, et il y défendit son opinion contre l’écrivain de qualité en homme qui n’était ni du couvent ni du collége. La Harpe, qui professait en ces années au Lycée avec un éclat et une vogue dont la lecture de son cours ne saurait donner idée, se trouva saisi du procès comme grand-juge, et il s’en acquitta surabondamment[2]. L’ouvrage du jeune oratorien fut cité et loué par lui en pleine chaire, honneur insigne et que nous voyons payé quarante ans après avec usure. M. Daunou fit paraître, en 1826, le travail le plus complet qu’on ait sur La Harpe, et dans lequel, sans rien taire des défauts, des légèretés et des palinodies, il insista sur les qualités durables. De plus, en tout temps, il sut combattre le déchaînement de Chénier contre les ridicules du célèbre critique, et il contribua utilement à réduire cette colère de son ami au frein de l’équité.

Ce succès de Nîmes et la discussion qui s’ensuivit donnèrent à M. Daunou, dans l’Oratoire, une grande réputation d’écrivain que venait confirmer au même moment un accessit remporté à l’académie de Berlin. Le sujet de cet autre concours était plutôt philosophique et de droit civil, l’autorité des parens sur les enfans. M. Daunou y préludait à son avenir de législateur, à la méthode qu’on le vit plus tard appliquer dans son livre des Garanties individuelles. Si j’osais rendre toute ma pensée, j’ajouterais aux justes éloges que mérite ce premier et déjà savant travail, que c’est d’un point serré, fin, d’un fil bien déduit et ingénieux sans doute, mais qu’on n’est point entièrement satisfait en finissant. La lumière ne circule point à travers les mailles de ce réseau. Chaque détail semble exact et clair, une certaine obscurité recouvre l’ensemble. Cela tient, je crois, à ce que l’auteur, toujours

  1. 15 août 1787.
  2. Voir, dans le Cours de Littérature, son article Boileau. — L’Année littéraire de 1787 (tome VIII, page 97) contient, au point de vue classique, un article très sévère sur le discours de M. Daunou ; on lui adresse quelques reproches fondés. Mais qu’était-ce que l’Année littéraire comme autorité, cette date, en comparaison de La Harpe ?