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le prix de l’adresse et de la valeur. C’était le prince maure, escorté de ses principaux walis, qui avaient saisi une si belle occasion de voir la reine, et en même temps de montrer que, s’ils avaient levé le siége, c’était par courtoisie et non par faiblesse. Le gage que la reine fut obligée d’accorder au prince infidèle, celui-ci le porta jusqu’à la mort sur son cœur, ni plus ni moins qu’un amulette béni par tous les alfaquies des mosquées de Cordoue, au risque d’être condamné, ajoutent les chroniques arabes, à ne jamais contempler les houris de l’élysée musulman. Le surlendemain du tournoi, le roi don Alonzo rentra dans Tolède, et son retour donna le signal des mêlées sanglantes. Les haines de religion et de race purent de nouveau s’assouvir, aussi ardentes, aussi aveugles que par le passé ; mais peu importe : étaient-ce donc des siècles de barbarie absolue que ces bizarres siècles du moyen-âge espagnol où une femme trouvait tant de force dans sa faiblesse, et, pour désarmer son ennemi, n’avait à exercer d’autre empire que celui de la vertu et de la beauté ?

A toutes les époques, en Espagne, on a été sûr de passionner la foule, — et de nos jours il en est absolument de même, — quand on évoque ces noms poétiques du roi don Alonzo et de la reine doña Berenguèle ; la haine du Maure, qui en toute autre circonstance n’est plus qu’un souvenir historique, redevient un sentiment réel qui remue le sang et soulève les ames. Les têtes s’exaltent au point que l’on finirait presque par ajouter foi aux prodiges que racontent les vieilles chroniques sur ces siècles étranges où un seul chevalier catholique dispersait des bataillons de Maures, de telle sorte qu’après la victoire, c’était à peine si, parmi des milliers d’infidèles tués ou mutilés dans les plaines, on parvenait à découvrir cinq ou six chrétiens tombés victimes de leur ardeur excessive, la face contre terre, et qu’on était forcé d’ensevelir avec leurs armes, leurs mains crispées refusant de s’ouvrir pour les rendre, même après la mort. Temps merveilleux où tout repoussait les Maures, non-seulement le guerrier avec sa lance ou le prêtre avec ses prières, mais les fleuves qui débordaient exprès pour emporter aux mers lointaines, hors de la catholique Espagne, leurs tentes et leurs cadavres, le sol qui s’entr’ouvrait sous leurs pieds, les maisons qui s’écroulaient sur leurs têtes, et jusqu’aux taureaux sauvages de Guadarrama qui, à leur vue, se prenaient d’un courroux soudain, et, selon la naïve expression des légendes, se montraient bons chrétiens en les poursuivant sans relâche ni quartier ! Si dans la guerre qui se prépare contre le Maroc on veut que le soldat espagnol affronte résolument tous les périls, il suffit de faire représenter devant lui un