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portée au-delà des montagnes Rocheuses, adieu tout espoir d’arriver à l’Océan Pacifique, ce rêve de tout Anglo-Américain ! Aussi voilà vingt-cinq ans que les États-Unis aiment mieux s’engager à ne point coloniser l’Orégon que de conclure un traité définitif.

Enfin un dernier intérêt est compromis indirectement par l’annexation du Texas. Le motif qui fait désirer aux états du sud la possession du Texas fait désirer aux états du nord l’acquisition du Canada. On se souvient des secours multipliés que les Canadiens reçurent des États-Unis, et des efforts désespérés que dans l’affaire Mac-Leod les états du Maine et de New-York firent pour amener avec l’Angleterre une guerre dont la conséquence eût été la conquête immédiate du Canada. Si le Texas donne aux gens du sud une supériorité trop décidée, ceux du nord demanderont, avec la même chaleur que déploie aujourd’hui le sud, l’acquisition du Canada comme compensation à celle du Texas ; et s’ils ne peuvent l’obtenir, ils le prendront de force. On connaît toute la faiblesse du lien qui rattache actuellement le Canada l’Angleterre, et le Canada français n’a pas encore pardonné à celle-ci la révolution qu’elle a opérée dans sa législation.

On le voit donc, tous les intérêts de l’Angleterre sont compromis directement ou indirectement par l’annexation du Texas, et les explications que nous venons de donner feront comprendre le ton hostile et furibond de la presse anglaise, comme la réserve pleine d’anxiété du ministère tory. Quelle est, maintenant, la conduite que doit tenir la France dans le règlement d’une question qui, comme dit le Times, compromet la paix du monde ? Aucun des intérêts matériels de la France n’y est sans doute engagé, mais il y a une question d’humanité qui réclame sa sollicitude. Représentée, d’ailleurs, par une politique ferme et prudente, la France pourrait exercer la plus haute influence, comme puissance médiatrice. La France ne doit pas souffrir que l’esclavage reparaisse sur une terre qui a été délivrée de cette souillure. Elle doit donc insister autant que possible pour que le traité qui vient d’être rejeté ne soit pas repris, ou au moins pour que le Mexique soit mis à l’abri des envahissemens ultérieurs des possesseurs d’esclaves. Comme, après tout, la cause de l’Angleterre est ici liée en partie à celle de la liberté, peut-être sera-t-il possible à la France de s’entendre avec l’Angleterre, et, tout en refusant de seconder ses vues passionnées et égoïstes, d’obtenir des États-Unis, de concert avec elle, garantie et sécurité pour l’indépendance du Mexique. Ce que l’Angleterre fera pour son commerce au nom de l’abolition de l’esclavage, la France le fera réellement et sincèrement pour la liberté.


A. CUCHEVAL.