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L’occasion était favorable ; une révolution venait d’avoir lieu au Mexique. Les abus des législatures provinciales avaient été si grands, qu’une réaction eut lieu en faveur du parti centraliste : celui-ci, guidé par Santa-Anna, obtint l’avantage, et une nouvelle constitution fut mise en vigueur. Elle instituait, à la place des états, des départemens administrés par un conseil législatif et par un gouverneur et un commandant militaire à la nomination du président. L’autorité des conseils législatifs était restreinte à la police, aux élections, et à la proposition des lois : le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire étaient réservés au gouvernement central. Les troubles qui accompagnèrent cette révolution au Mexique parurent aux colons anglo-américains une heureuse occasion ; ils protestèrent contre les changemens introduits dans la constitution et se déclarèrent indépendans. Leur manifeste, dont la rédaction fut calculée de façon à faire appel au fanatisme démocratique et religieux des États-Unis, contenait une longue série de griefs qui servirent de prétextes à la révolte, mais n’en étaient pas les motifs réels. Les véritables causes, nous les avons déjà indiquées : c’étaient le désir qu’avaient les Américains du sud d’arracher le Texas au Mexique pour l’incorporer à l’Union, les intrigues des côlons anglo-américains appuyées, sinon suscitées, par le cabinet, de Washington, l’intérêt des spéculateurs qui avaient obtenu de la législature particulière du Texas des concessions illégales de terres, contre lesquelles le gouvernement mexicain protestait, et surtout l’intérêt commun de tous les possesseurs d’esclaves, qui ne voulaient pas se soumettre aux lois du Mexique contre l’esclavage.

Aussitôt la déclaration d’indépendance publiée, tous les colons furent obligés d’y adhérer : le silence, leur fut imposé sur les causes de la rébellion, et toute protestation fut étouffée. C’est à peine si un colon américain osa élever la voix dans un journal de New-York ; encore il s’excusa de ne pas signer sa lettre, parce que c’eût été se dévouer à la mort. Un autre abandonna le pays, et publia dans le National Intelligencer un article signé un émigrant de retour. Un M. Bartlett écrivit à un journal de New-York pour réfuter cet article, et il terminait sa lettre par ces mots : « J’ai un avis à donner à ce gentleman ; c’est de ne reparaître jamais au Texas après le pamphlet qu’il a publié, s’il ne veut faire connaissance avec la salutaire discipline de la loi de Lynch[1]. » Mais voici un autre fait bien plus significatif. Un citoyen

  1. A la fin du XVIIe siècle, des esclaves réfugiés dans des marais infestaient la Caroline du nord. Les habitans donnèrent à l’un d’entre eux, John Lynch, un pouvoir discrétionnaire au civil et au criminel. Cet usage s’est conservé, et quand les intérêts généraux du pays paraissent menacés, les principaux habitans, réunis en commission, ont droit de juger sommairement toute personne, libre ou esclave, qui leur est dénoncée. Dans le dernier complot des esclaves, plus de cinq cents personnes furent condamnées et exécutées en deux jours.