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mourir de faim, de leur reine désolée à qui il a volé ses bagues, et de je ne sais combien de forfaits plus ou moins vrais pour lesquels il lui souhaite de voir

Sa carcasse désentraillée,
Par la canaille tiraillée !

Nous ne rapportons ici que les injures les plus douces ; le reste est d’une virulence que les Latins eux-mêmes n’ont pas dépassée. Le burlesque y va jusqu’à la férocité ; les plaisanteries sont trop littéralement sanglantes. La colère poétique tourne à la rage, et il est étrange qu’il se soit trouvé autant de fiel dans ce petit corps rabougri. Le père Duchêne est pâle à côté de cela. C’est pousser bien loin le ressentiment d’une dédicace et d’une belle reliure perdues. Mazarin, qui était un homme d’assez d’esprit pour rire aux bons endroits des pamphlets et des chansons qu’on faisait contre lui, trouva cette fois la plaisanterie un peu forte et le style un peu libre. On ne voit pas cependant qu’il ait cherché à en tirer vengeance.

Le logis de Scarron servait de lieu de rendez-vous aux frondeurs. On appelait ainsi, comme chacun sait, ceux qui tenaient pour le parlement, et mazarins ceux qui tenaient pour l’autorité royale. M. le prince n’y allait pas lui-même, mais il y envoyait des gens de sa maison. On lisait là en petit comité l’Avis de dix millions et plus, le Courrier burlesque de la guerre de Paris, la Juliade, le Ramage de l’Oiseau, les Triolets frondeurs.

Les mazarins avaient aussi leurs poètes et leurs écrivains. Cyrano de Bergerac, qui était du parti de l’éminence, détacha en manière de réponse à Scarron, qu’il désigne sous l’anagramme transparent de Ronscar, une épître vertement sanglée. Cyrano, à qui les nombreux duels qu’il avait soutenus pour la forme de son nez donnaient, même la plume à la main, des airs de capitan matamore, traite le pauvre Scarron de haut en bas ; il lui dit qu’il n’a jamais vu de ridicule plus sérieux ni de sérieux plus ridicule que le sien ; il l’accuse d’avoir fait radoter Virgile, et l’appelle grenouille fâchée qui coasse dans les marécages du Parnasse. Il prétend que ce qu’il écrit est fait pour les harengères, et que, si le jargon de la halle vient à changer, il ne sera plus compris. Puis, passant à la description de sa personne, il assure que, si la mort voulait danser une sarabande, elle prendrait une paire de Ronscars pour castagnettes. — Voilà dix ans que la parque lui a tordu le col sans pouvoir l’étrangler. A le voir ses bras tors et pétrifiés sur ses hanches, on prendrait son corps pour un gibet où le diable a pendu