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le tonnerre a grondé. Pendant qu’ils se frottent de leurs doigts gros comme des colonnes leurs yeux larges comme de boucliers, les dieux envahissent le camp, et bientôt la mêlée devient générale. Les plus terribles horions sont échangés ; plusieurs des géans sont tués, ce qui les contrarie beaucoup, attendu qu’ils n’étaient jamais morts jusqu’à cette heure, et après diverses alternatives, grace à la valeur d’hercule, qui est né d’une mortelle, l’armée gigantale est mise en déroute, et la prédiction de la bohémienne accomplie. Typhon, sautant de sommet en sommet, enjambe la botte de l’Italie et se sauve en Sicile, où Jupiter le poursuit, le renverse et lui met, en manière de cauchemar, le mont Etna sur la poitrine, ce qui ne le gêne pas médiocrement : quand il tousse, il y a une éruption ; quand il se retourne, un tremblement de terre.

Ainsi presque toujours le vice
A la fin trouve son supplice,
Et jamais la rébellion
N’évite sa punition !

La gigantomachie dont nous venons de donner une idée succincte abonde en vers plaisans, en manières de dire originales, en idiotismes qui sentent bien leur terroir. Il est dommage que la pruderie de goût qui règne aujourd’hui et qui ne pardonne pas une joyeuseté de style, même dans une étude purement philosophique et littéraire, ne nous permette pas de citer les traits les plus vifs et les plus drolatiques. Autrefois la langue française ne respectait pas tant l’honnêteté dans les mots qu’elle ne le fait de notre temps ; les anciens conteurs avaient une liberté d’allure que nul ne pourrait prendre aujourd’hui, et dans le genre facétieux nous comptons beaucoup de chefs-d’œuvre : Rabelais, Béroalde de Verville, la reine de Navarre, Bonaventure Desperriers, ont des manières d’écrire et des inventions de style merveilleuses dont La Fontaine ne donne dans ses contes qu’une idée bien affaiblie. C’est là que brille dans tout son éclat le véritable esprit gaulois, et il est à regretter que le cant anglais, qui s’est introduit dans nos mœurs, nous prive de ces bonnes farces un peu grasses où le drolatique de l’expression fait oublier la licence du détail. Scarron, par le fond de son style, tient au vieil idiome, et relativement à plusieurs de ses contemporains il est quelque peu archaïque, le burlesque se composant d’une foule d’expressions proverbiales, de locutions familières, de termes populaires qui restent encore long-temps dans la conversation après avoir été bannis du style soutenu. Ce que nous disons de Scarron peut s’appliquer à d’autres et aux plus illustres. Molière, bien