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à peu près le seul qui ait surnagé de toute cette bande, et de temps à autre on lit encore quelques pièces de lui. Ce n’est pas que parmi ses confrères, engouffrés sans retour dans l’eau noire de l’oubli, on ne trouve des morceaux d’une verve aussi franche, d’un comique aussi épanoui et d’une facture non moins habile ; la mémoire humaine, surchargée de tant de noms, en choisit ordinairement un pour chaque genre et le lègue : d’âge en âge sans autre examen. Un travail amusant pour quelqu’un qui aurait du loisir, et qui ne craindrait pas de traverser et de remonter quelquefois le torrent des opinions reçues serait la révision des arrêts portés par les contemporains ou la postérité, qui n’est pas toujours si équitable qu’on veut bien le dire, sur une foule d’auteurs et d’artistes : plus d’un de ces jugemens cassé à coup sûr. Un pareil travail, appuyé de pièces justificatives, mettrait en lumière une foule de choses charmantes dans es écrivains voués à la réprobation et au ridicule, et trahirait un nombre pour le moins équivalent de sottises et de platitudes dans les écrivains cités, partout avec éloge. Tous les poètes grotesques n’ont pas eu pour leur renommée l’avantage de laisser une veuve épousée par un roi de France, et cette bizarrerie de fortune a contribué pour beaucoup, à sauver de l’oubli le nom de l’auteur de Don Japhet d’Arménie.

Scarron naquit à Paris en 1610 ou 1611, d’une famille ancienne et bien située, originaire de Moncallier en Piémont où l’on voit dans l’église collégiale une chapelle fondée sur la fin du XIIIe siècle par Louis Scarron, qui y repose sous un tombeau de marbre blanc blasonné de ses armes. Il eut pour père Paul Scarron, conseiller au parlement qui jouissait d’une fortune de 25 mille livres de rente, somme considérable pour : ce temps, et qui représenterait aujourd’hui plus du double. – Un Pierre Scarron fut évêque de Grenoble, un Jean Scarron, sieur de Vaujour. – Il n’y a rient là qui sente son poète et son bouffon, et l’on aurait pu, sans crainte de passer pour un faux prophète, prédire un avenir agréable au petit Scarron et à ses deux sœurs Anne et Françoise. Cet avenir si clair et si net en apparence ne tint cependant pas ses promesses. Le conseiller Scarron perdit sa femme, et, sans tenir compte de cette faveur que le ciel lui faisait de rompre un nœud indissoluble, il commit la sottise de convoler en secondes noces.

Françoise de Plaix, la femme qu’il épousa, lui donna trois autres enfans : deux filles, Madelaine et Claude ; un fils, Nicolas. – Vous savez que, si rien au monde ne vaut une mère, rien n’est pire qu’une marâtre, — si ce n’est une belle-mère. – Donc Françoise de Plaix, comme une vraie marâtre qu’elle était, aimait peu les enfans de l’autre