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une grasse prairie où nagent à plein poitrail dans des vagues d’herbes ces belles vaches rousses, que Paul Potter sait si bien peindre, et à qui les idylles de cour font paître un gazon de satin vert sous le nom euphonique de génisses.

Sous le règne précédent, l’élément gaulois se retrouvait plus visible au fond de la littérature, à travers un mélange d’espagnol et d’Italien : la greffe hellénique que Ronsard avait entée sur le vieux tronc de l’idiome, nourrie par la sève du terroir, s’était fondue avec l’arbre. Il n’y a pas une si grande différence qu’on pourrait le croire entre les discours politiques du gentilhomme vendomois et certaines tirades de Pierre Corneille. C’était une langue charmante, colorée, naïve, forte, libre, héroïque, fantasque, élégante grotesque, se prêtant à tous les besoins, à tous les caprices de l’écrivain, aussi propre à rendre les allures hautaines et castillanes du Cid qu’à charbonner les murs des cabarets de chauds refrains de goinfrerie.

L’esprit français, fin, narquois, plein de justesse et de bon sens, manquant un peu de rêverie, a toujours eu pour le grotesque un penchant secret. Nul peuple ne saisit plus vivement le côté ridicule des choses, et dans les plus sérieuses il trouve encore le petit mot pour rire. Du temps de Louis XIII, il régnait en littérature un goût aventureux, une audace, une verve bouffonne, une allure cavalière tout-à-fait en harmonie avec les mœurs des raffinés. On ne regardait de près ni aux mots, ni aux choses, pourvu que la touche fût franche, la couleur hardie et le dessin caractéristique. L’influence du cavalier Marin, de Lalli, de Caporali, de Quevedo, avait donné lieu une foule de composition burlesques où la singularité du fond le dispute au caprice de l’expression. On ferait un gros volume, rien qu’avec les titres de toutes ces œuvres que la réaction en tête de laquelle se trouvaient Boileau et Racine a fait rentrer dans un oubli profond, d’où les tire de loin en loin la curiosité d’un bibliophile ou d’un critique qui va chercher dans ce qu’on appelle les poetœ minores des traits de physionomie négligés par le large pinceau des talens de premier ordre. Paul Scarron est en quelque sorte l’Homère de cette école bouffonne, celui qui résume et personnifie le genre ; il possédait de son emploi jusqu’au physique. Byron, le chef de l’école satanique, avait le pied-bot comme le diable ; Scarron, chef de l’école burlesque, était contrefait et bossu comme une figure du Bamboche. Les déviations de ses vers se répétaient dans les déviations de son épine dorsale et de ses membres : les idées, comme les marteaux des orfèvres repoussent la forme extérieure et lui font prendre leurs creux et leurs saillies. Le nom de Scarron est