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des oranges ou des gâteaux. Aucun ouvrier ne se promenait avec sa femme, ni aucun frère avec sa sœur. Partout une malpropreté hideuse, le désordre, l’indifférence, et avec cela point de gaieté, point de rires, point de sourires. On ne sentait que vide ou ennui ; on ne remarquait pas d’autres symptôme de joie et de vivacité que les cris poussés par les jeunes filles les tas de fumier. »


L’état de Woherhampton, si déplorable qu’il soit, n’approche pas de celui de Sedgeley ou de Willenhall. Dans une grande ville, le mélange des rangs, le contact des étrangers et la circonférence des intérêts tendent à relever les hommes de leur abaissement ; mais dans ces petits bourgs industriels que peuple exclusivement une classe de travailleurs, quand les traditions patriarcales se sont effacées, les familles ne tiennent plus à la civilisation que par leurs besoins.

On connaît la spécialité de Willenhall ; celle de Sedgeley est la fabrication des clous et des chaînes en fer. Le travail s’y fait en famille, et les jeunes filles en sont principalement chargées ; c’est la ville des femmes-forgerons (female blacksmths). Celles-ci, à demi vêtues, combattent le feu (flght fire) quatorze à seize heures par jour Dès l’âge de dix ans, leur tâche quotidienne est de mille clous. Associées à des hommes ignorans et dépravés, elles en contractent bientôt les habitudes, boivent, fument, jouent, et dépouillent toute pudeur. Heureusement, ces filles dévergondées se marient de bonne heure. Il n’est pas rare de voir un jeune couple entouré d’enfans avant que le père et la mère aient atteint l’âge viril. Le nombre moyen des enfans est de six à douze par famille. A l’âge de trente ou quarante ans, le père renonce au travail et vit oisif aux dépens de sa femme, de ses fils et de ses filles, qui travaillent tous pour lui[1]. Ce procédé ne ressemble-t-il pas à celui de certains propriétaires des Antilles, qui ont des enfans de leurs négresses pour accroître le nombre des esclaves sur la plantation ?

A Willenhall, la méthode d’exploitation n’est plus la même. Les maîtres-ouvriers, au lieu de se servir de leurs propres enfans, vont chercher des apprentis dans les maisons de charité de Walsall, de Coventry et de Tamworth. Sur les 9,000 habitans de Willenhall, on compte près de 1,000 apprentis. Les petits fabricans n’emploient jamais d’ouvriers adultes. Il a pour eux double avantage à remplacer le travail des hommes faits par celui des enfans : d’abord à l’apprenti ne

  1. M. Horne mentionne plus particulièrement ce fait en parlant des ouvriers de Stourbridge.