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considèrent avec curiosité, cherchant évidemment à deviner sur sa figure comment il s’arrange pour ne pas travailler durant sept jours, lorsqu’eux-mêmes ne peuvent pas prolonger au-delà de trois jours une oisiveté qui leur coûte encore assez cher. Il n’est pas rare de voir le mercredi et même le jeudi des groupes d’adultes, entre vingt et trente ans, errant dans la ville, le regard vide, l’air hébété, souvent la tête penchée vers la terre ; évidemment il ne leur reste plus un liard à dépenser, mais, n’ayant pas faim pour le moment, ils ne sentent pas encore la nécessité de travailler. »


Quelquefois les ouvriers qui se sont oubliés trop long-temps au début de la semaine prolongent le travail pendant la nuit du samedi jusqu’au dimanche matin. Ceux-là voudraient bien faire leur samedi le dimanche, et regagner ainsi le temps perdu pour leurs plaisirs ; mais la sévérité des mœurs anglaises ne leur permet pas de s’enivrer le jour du Seigneur. Ils errent donc, sales et refrognés, lançant des regards qu’ils voudraient rendre insultans à toute personne qui passe proprement vêtue. Néanmoins ils sont trop fatigués et trop honteux d’eux-mêmes pour aller jusqu’à la provocation. Cette paresse napolitaine ne s’explique pas, comme sous le ciel du midi, par l’emportement des sens ni par le goût des plaisirs. Les ouvriers de Wolverhampton, à moins de s’enivrer de bière, ne savent que faire de leur oisiveté. À défaut de voluptés plus excitantes, ils ne jouissent, même dans le repos, ni de la nature, ni du soleil. Pour compléter ce tableau qui tranche, bien que dans une égale dégradation, sur celui que présente la population des grandes manufactures, je traduirai encore la peinture que fait M. Horne du dimanche à Wolverhampton[1].


« Je me suis promené dans la ville et dans les faubourgs à l’heure du service divin. J’ai rencontré des hommes seuls ou marchant par groupes, vêtus de leurs blouses de travail ou portant des chemises sales retroussées jusqu’au dessus du coude et la figure noircie par la fumée des forges ; quelques-uns paraissaient avoir veillé toute la nuit, soit à boire, soit à terminer leur travail. On apercevait les enfans au fond des cours et des allées, assis ou s’amusant sur les tas de cendre, bruns et bruyans comme une volée de moineaux ; d’autres jouaient aux billes, entourés d’adultes qui fumaient nonchalamment sans faire attention au jeu. Plus loin, de jeunes garçons se battaient en blasphémant, et le sang ruisselait de leurs nez. Les femmes étaient assises sur leurs portes les bras croisés. Des jeunes filles de 12 à 15 ans, plus proprement vêtues que les autres, sautaient avec des cris de plaisir sur des tas de fumier. Très peu d’enfans étaient lavés et habillés. Les seules maisons dont on eût nettoyé et sablé le parquet étaient celles où l’on vendait

  1. 14 mars 1841.