Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/19

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

indien, le boulboul, dont la voix est plus grave, plus sonore que celle du nôtre, parce qu’il a de plus vastes solitudes à animer de son chant. Bientôt on découvre les sillons de la vallée s’ouvrant sous la charrue légère qui effleure à peine le sol, les cabanes éparses dans la campagne, puis d’autres collines, puis des pics chenus, et par-delà les cimes que la lumière trop vive baigne d’une vapeur azurée, la ligne droite de la mer étincelant à l’horizon. Alors on s’arrête, et au milieu de l’extase qu’inspire, un pareil tableau, on regrette de n’avoir pas d’ailes pour se lancer dans cette immensité dont le regard a pris possession. Partout, les montagnes émeuvent et exaltent l’esprit ; mais quand une végétation tropicale pare les gorges et les vallons, quand les lianes monstrueuses, couvrant sous leur feuillage d’invisibles ruisseaux vont suspendre leurs fleurs par-delà le ravin au tronc des arbres penchés sur l’abîme, quand le colibri bourdonne sous les bananiers et que l’aigle se balance au-dessus des rocs menaçans, la majesté de cette nature complète, si riante et si terrible, remplit l’ame. On a compris la poésie indienne, inégale et désordonnée, si bien en harmonie avec les contrées où elle a pris naissance ; Qu’on se figure de pareilles scènes aux instans solennels de la journée, au soir, au matin surtout ! N’oublions pas que nous sommes en hiver, qu’on peut marcher à pied sans trop de fatigue pendant les heures qui précèdent l’aurore. Dans les intervalles des monts s’étend une teinte diaphane déjà rose sur les cimes les plus hautes. Le kohila, le coucou de l’Inde, a jeté son cri matinal ; de petits oiseaux verts d’émeraude, gais comme l’alouette, s’éveillent et montent avec un gazouillement joyeux au-devant du soleil. Dès que les masses de la forêt encore confuses se dessinent avec les nuances que leur a données l’automne, les perruches s’agitent et vont à grand bruit s’abattre dans les vergers. Sur les branches à demi rompues d’un arbre séculaire, incliné par les tempêtes de la mousson, quelques vautours paresseux n’ont point allongé leur cou nu replié encore sous le duvet de l’aile. Pour les tirer d’un si lourd sommeil, il faudra leur lancer une pierre ; alors on verra ces gigantesques oiseaux, glissant d’un vol léger entre deux monts abruptes, projeter au fond des ravins leur ombre incertaine. Quand la mousson éclate dans les Ghautts et qu’au roulement de la foudre tonnant de toutes parts des torrens de pluie se précipitent dans les anfractuosités des rocs, les arbres ébranlés ploient et tordent leurs rameaux ; les bambous brisés, tombent avec les branches moites dans l’écume des gouffres ; les pierres roulent, le tigre se réfugie dans les cavernes, l’oiseau se tait, et ce désordre de la nature qu’on prendrait pour la fin d’un des ages qui,