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pesant sur l’esprit aussi bien que sur le corps, étouffe toute autre idée. Un jeune enfant, employé dans une fonderie, à qui l’on demandait s’il savait lire, répondit qu’il pouvait lire de petits mots, pourvu que ces mots ne fussent pas trop lourds. Le pauvre malheureux, raisonnant par analogie, voyait dans chaque lettre, un poids à soulever.

A Birmingham, les apprentis jouissent d’une indépendance telle, qu’ils font la loi aux maîtres-ouvriers ; à Wolverhampton, les apprentis sont des esclaves que les maîtres logent, nourrissent, vêtissent, et traitent comme il leur plaît. Si l’enfant commet une faute, on le prive de nourriture, ou bien on le force à travailler plus qu’il ne doit. S’agit-il de le récompenser, on lui permet de se livrer à un travail extraordinaire ; mais alors, en retour de cette bienveillance, le maître prélève en forme de tribut, un tiers du produit. Pour retenir plus sûrement l’apprenti dans la dépendance du maître, on ne lui enseigne qu’une seule branche de fabrication Après sept ans de servage auprès d’un serrurier, il est hors d’état de faire une clé ou une serrure, ayant passé tout ce temps à limer où à forger. L’ouvrage vient-il à manquer, le malheureux, bat le pavé ou s’enivre, incapable qu’il est de s’appliquer à un autre genre de travail.

Cette oppression est tellement dure et tellement constante, qu’elle ne laisse pas même à ses victimes la force de se plaindre. M. Horne déclare que des enfans qui travaillaient douze à quatorze heures par jour pour 1 1/2 shilling ou 2 shilling dont pas un penny n’entrait dans leur poche, mal nourris, vêtus de haillons, qui reconnaissaient qu’on ne leur donnait pas suffisamment à manger, souvent malades, battus au point de s’en ressentir un jour ou deux, ont répondu néanmoins qu’ils aimaient leur ouvrage, qu’on les traitait bien, et qu’ils étaient punis quand ils le méritaient. Une question telle que celle-ci : « Vous sentez-vous fatigué ? » ne leur avait jamais été faite, et ils ne la comprenaient pas. Au reste, si les apprentis viennent à porter plainte, le magistrat donne toujours raison au maître-ouvrier[1]. Dans cette communauté industrielle, il n’y a pas un abus dont tout, le monde ne soit complice ; la justice elle-même craint de troubler un ordre de choses qui semble marquer du sceau de la nécessité. Et quelle société que celle dans laquelle les enfans n’ont pas la vivacité de leur âge, où les jeunes garçons sont mornes et apathiques, où les jeunes filles n’ont jamais ni chanté ni dansé, n’ont jamais vu une fleur, et ne connaissent

  1. « Allways redress for the master, not against him. » (Chidren’s commission)