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de la presqu’île indienne, et qu’on retrouve par un singulier hasard sur le dos de nos paysannes dans certains villages des Pyrénées. La jaquette serrée qui enveloppe la gorge et le haut des bras laisse à nu, selon l’usage, l’espace compris entre cette partie supérieure du vêtement et le jupon écourté, que les femmes mahrattes portent ample et flottant, un peu à la manière des créoles espagnoles et portugaises. Cette jupe roulée auteur des reins, bariolée de couleurs tranchantes, laisse voir un pied chargé d’anneaux sonores, un bas de jambe entouré de cercles de cuivre, d’acier ou d’argent. Les bras sont ornés de bracelets depuis le poignet jusqu’au-dessus du coude ; au nez est suspendue une boucle démesurée qui retombe plus bas que la bouche, et les pendans d’oreille enrichis de torsades, de fils de couleur, de touffes rouges et bleues, joignent les épaules. Ce costume un peu extravagant est porté par les jeunes femmes mahrattes avec une certaine dignité ; celles qui prétendent descendre de familles radjpoutes se voilent la face à la manière des dames mahométanes.

Souvent, à une même fontaine, se trouvent réunies les femmes de plusieurs campemens. Les jeunes filles dégagées du manteau, emplissent les cruches et les rangent à la ronde. Les mères, encore adolescentes, assises à l’ombre, s’entretiennent avec les matrones à cheveux blancs, venues à la citerne par habitude, pour se mêler à cette jeunesse qui les respecte, pour sentir vivre autour d’elles ces âges d’espérance et de fécondité qui leur rappellent bien des souvenirs. Dans les pays d’Orient, où les femmes vivent en dehors de la société des hommes, ces réunions en plein air ont quelque choses de mystérieux et de confidentiel ; l’Européen lui-même sent qu’il y aurait inconvenance à les troubler par son approche.

Cependant la conque a retenti ; les bœufs reviennent lentement dans buffles marquent leur trace sur la poussière par les gouttes d’eau qui ruissellent de leurs flancs. Les chiens fatigués suivent le bétail et se couchent aux pieds de leurs maîtres. Sur la tente flotte le pavillon de la tribu ; les femmes se dirigent, en se dispersant, chacune vers son gîte. La fontaine devient déserte, car dans la forêt, à cette heure, errent de mauvais génies. L’enfant, effrayé par le glapissement du chacal, se serre contre sa mère ou l’entraîne en avant ; l’oiseau de nuit, sortant tout à coup du creux d’un figuier, a fait frissoner la jeune fille qui fuit d’un pas plus rapide et ne peut se détourner sans courir le risque de renverser les trois amphores posées sur sa tête. Bientôt les ténèbres s’abaissent du haut des monts ; on distingue à peine des formes humaines pareilles à des ombres qui s’effacent