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des banques, une tendance malheureuse à protéger les spéculations les plus extravagantes, ont surtout détruit tous, les bons effets que l’on pouvait retirer du papier-monnaie. On aurait pu porter un remède partiel à un dérèglement dans l’émission ; mais rien ne pouvait remédier à la dilapidation des capitaux. Le désastre devait être complet.

Les États-Unis ont appris de l’Angleterre, dont ils ont suivi tous les erremens en commerce et en industrie, à avoir une confiance presque illimitée dans le papier-monnaie, et à le considérer comme de l’argent. Ce pays a le secret de la force industrielle de son ancienne mère-patrie, et, s’il parvient à sortir de son désordre financier, il pourra prétendre à rivaliser avec elle, quoiqu’il ne soit doué ni du même bonheur de position ni des mêmes avantages d’homogénéité nationale.

Nous avons dit déjà que nous appréhendions que sir Robert Peel ne se fût laissé trop envahir par la crainte de l’abus que l’on peut faire du papier- monnaie. Qu’on ne nous accuse pas de lui prêter gratuitement cette pensée ; aucun doute à cet égard ne peut subsister devant cette franche déclaration de sa part : qu’il n’était pas éloigné de croire que, s’il existait une autre situation financière, le meilleur plan serait que l’état eût exclusivement à la fois entre les mains la fabrication des monnaies et l’émission des billets. Après ces paroles significatives, on doit s’attendre à ce qu’il vise à ramener insensiblement entre les mains de l’état ce grand intérêt.

En effet, tout son plan sur le régime de la banque d’Angleterre se ressent de ces dispositions, et nous voyons le plus grand défaut du projet dans cette tendance. Nous osons dire ici que l’effet de la mesure qui a pour but la séparation de la banque d’Angleterre en deux départemens distincts, l’un n’ayant pour attribution que l’émission des billets, l’autre le maniement des affaires de banque proprement dites, sera peut-être entièrement contraire au résultat que l’on se propose d’obtenir. Cette division ravit à cet établissement colossal une partie de sa force. Ce ne sont plus, on le comprend, les mêmes principes, la même action qui impriment le mouvement général, et, si étroitement unis que l’on suppose les deux départemens, il y aura toujours, sinon dissentiment, du moins une solution d’unité de vues qui entravera la marche active des affaires. L’obligation aussi d’un contrôle par des agens à ces préposés emportera toujours avec elle un caractère fiscal qui sera préjudiciable à l’ensemble. Ensuite cette prépondérance financière d’une corporation disparaîtra insensiblement, et dans les temps difficiles on fera en vain appel à cette influence amoindrie, sinon annihilée.

La limite que sir Robert Peel pose à la circulation en la fixant à 14 millions de liv sterl. garantis sur une même somme de valeurs indique aussi quelque inquiétude sur la facilité avec laquelle la banque d’Angleterre pourrait se laisser entraîner en dehors du cercle où doivent légitimement se mouvoir ses intérêts. Mais ce surcroît d’émission auquel sir Robert Peel veut opposer une barrière est quelquefois impérieusement réclamé par de dures