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l’argent comme les seuls et uniques types consentis universellement pour représenter la valeur ? Et s’il en est ainsi, cette habitude ne se transforme- t-elle pas en une loi qui contraindra toujours à rechercher de proche en proche, au moyen des échanges, la quantité de métal précieux que l’on obtiendra pour le papier-monnaie ?

En effet, pour se former, selon nous une juste idée du papier-monnaie, il faut le considérer comme un billet au porteur, sans échéance fixe, assujéti à un remboursement qui se trouve, par le fait simultané de la confiance et de la convenance, différé indéfiniment. Il résulte de la principale condition qu’il y a convertibilité ; lorsque cette convertibilité est exigée, il faut donc pouvoir présenter une tout autre contre-valeur qu’un nouveau papier, et cette contre-valeur doit être un métal précieux qui présente une valeur intrinsèque, une valeur générale et non locale. Où rencontrer toutes ces propriétés réunies, si ce n’est dans l’argent et dans l’or ?

Afin d’expliquer la préférence qu’il donne à l’or sur l’argent pour être l’unique étalon de la monnaie légale, sir Robert Peel a rappelé dans son projet que depuis le temps le plus reculé les transactions en Angleterre ont toujours été réglées par ce métal. Cette explication brève, et, le dirons-nous, empirique, ne nous semble pas suffisante. L’opinion de lord Liverpool émise en 1804, et rapportée par sir Robert Peel, que l’or est plus propre à être l’étalon de la monnaie, parce qu’on est habitué à le considérer comme la principale mesure de la propriété, ne soulève qu’un coin du voile. Elle laisse dans l’ombre encore les motifs qui, depuis un si grand nombre d’années, ont engagé l’Angleterre à préférer l’or comme type monétaire. Nous nous expliquons autrement cette préférence donnée par la Grande-Bretagne à l’or sur l’argent. Il faut en chercher la cause selon nous, dans le développement prodigieux qu’a pris l’industrie de ce pays depuis un siècle et plus. Aujourd’hui, par suite des progrès qui ont rayonné dans toutes les voies du bien-être matériel, tout ce qui sert aux besoins de l’homme semble moins coûteux, et cette diminution dans les prix paraîtrait devoir être plus convenablement mesurée par l’argent que par l’or ; mais ce bon marché, surtout en Angleterre, ne s’est étendu qu’à certaines nécessités de la vie au vêtement, par exemple, et s’est retiré au contraire, par suite de l’aggravation des impôts et des taxes, de la plus grande somme des besoins de l’homme, de ceux qu’entraîne la vie animale. Si l’on réfléchit maintenant que, dans ce pays plus que dans aucun autre, cette somme de besoins accrue par l’expansion industrielle est multiple en ce sens qu’elle s’adresse à mille choses à la fois, il sera aisé de reconnaître que la monnaie d’argent est devenue insuffisante pour évaluer des nécessités si nombreuses, et que le type monétaire, qui n’est qu’une unité de rapport, a dû grandir avec la richesse nationale. C’est, par ce motif qu’il faut, selon nous, expliquer la préférence donnée à l’or en Angleterre ; il n’est pas besoin de s’appuyer sur la faible quantité de monnaies d argent existant en Angleterre, et sur la valeur numéraire beaucoup plus