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qu’une escadre portait ombrage à l’Angleterre, elle la confisquait, et l’on sait dans quel état elle la rendait quand un autre intérêt politique la forçait de s’en dessaisir. Enfin, pendant toute la durée des guerres de la république et de l’empire, on a vu ce peuple, qui accuse aujourd’hui nos plus illustres marins de rêver une guerre de pillage, se jeter comme des Normands, ses ancêtres, sur tous les rivages de l’Europe, bombarder les ports, dévaster les arsenaux, poursuivre jusqu’au fond des fleuves les pavillons sans défense, bloquer le monde enfin, et, non content d’avoir fermé à l’Europe toutes les avenues de l’Océan, se venger sur le capitole du Nouveau-Monde d’une grandeur future qu’il ne pouvait encore atteindre.

C’est ainsi que le champion de l’équilibre politique, pour rappeler ici l’expression curieuse du Journal de La Haye, a procédé dans son œuvre de désintéressement. Il y a mis tant d’ardeur, que presque toutes les marines secondaires qui existaient à la fin du XVIIIe siècle, ont disparu. Où sont les vaisseaux de Gênes ? Où sont les vaisseaux de Venise ? L’Espagne peut à peine équiper une frégate ; la Hollande ni le Danemark ne sauraient armer une flotte. Il ne reste plus que trois marines libres dans le monde, et encore, réunies toutes les trois par une alliance peut-être impossible, elles n’égaleraient pas la colossale marine britannique : la plus considérable des trois, la nôtre, s’est relevée enfin de ses longs désastres ; mais la marine de la Russie est acculée au fond de ses deux mers intérieures, et celles des États-Unis tarde trop peut-être à développer tous les élémens de sa force.

La souveraineté de l’Océan est une chimère ! La suprématie maritime a sur la suprématie continentale l’avantage de pouvoir se fonder sans la spoliation des autres états ! Mais il nous semble qu’en 1794 la Hollande possédait encore le Cap, Ceylan, des comptoirs dans l’Inde, une partie de la presqu’île de Malacca, la Guyane avec les Français et les Espagnol seuls pour voisins. Quel pavillon flotte aujourd’hui le long du chemin immense qui va de Batavia au Texel, à Singapore, à Trincomalé, sous la montagne de la Table ? N’était-ce pas autrefois le pavillon tricolore ? n’est-ce pas aujourd’hui l’union- jack ? A qui appartiennent à présent Démerari, Esséquibo ? La Hollande a-t-elle abandonné volontairement ces indispensables possessions ? Non, l’Angleterre les lui a prises, les payant à la vérité en monnaie continentale, avec la Belgique qui ne lui appartenait pas, et dont elle a reconnu ensuite l’indépendance sans vouloir entendre parler de la restitution de Ceylan, de la Guyane et du Cap.

Mais peut-être l’Angleterre est changée elle est satisfaite de sa suprématie maritime ; elle est rassasiée de conquêtes. Nous le voulons bien ; pourtant ce qu’elle a fait par ambition jadis, elle le fera, aujourd’hui par nécessité. Un de ses hommes d’état a trahi dernièrement le secret de cette loi impérieuse de la fatalité qui l’entraîne et qu’elle ne peut plus maîtriser. Que la Hollande y réfléchisse bien : elle est encore, après tout ce que l’Angleterre lui a ravi, la seconde puissance coloniale du monde. Java, depuis 1815, a déployé ses