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et les incertitudes du pouvoir, constatant combien il est dominé lui-même par les intérêts égoïstes auxquels il fait appel ; si elle s’était montrée, depuis trois années, parti de gouvernement et d’administration, il y a long-temps qu’elle serait aux affaires et que le cabinet du 29 octobre aurait disparu. La vie d’une opposition ne se compose pas d’indolence et de boutades, de solennels discours suivis d’un long silence : ce n’est pas ainsi que lord John Russell et lord Palmerston agissent en ce moment ; ce n’est pas par une semblable conduite qu’ils affaiblissent chaque jour davantage le ministère naguère si puissant de sir Robert Peel. Ils ne dédaignent aucune question, et ne croient pas au-dessous d’eux de se mêler aux affaires du pays. Aussi est-ce à propos d’un droit différentiel de quelques shellings imposé sur le sucre étranger, que la question de cabinet s’est trouvée soudainement posée chez nos voisins. Là, chacun est dans la vérité, et, pour tout dire, dans la dignité de son rôle : l’opposition, qui élève doctrine contre doctrine, intérêts contre intérêts ; le cabinet, qui signifie hardiment à ses amis que la première condition d’un grand gouvernement est la confiance du parti qui l’appuie. En Angleterre, le pouvoir restera efficace et fort jusqu’au jour où il passera dans d’autres mains ; en France, il ira s’affaiblissant toujours, alors même qu’il ne changerait pas d’instrumens, parce que la majorité, qui ne veut pas renverser le ministère mais à la condition d’administrer sous son nom, sait fort bien, suivant le mot heureux de M. Dupin, que si elle n’est pas avec le cabinet, celui-ci sera avec elle.

La chambre a remis au budget de la marine la discussion des crédits extraordinaires réclamés par ce département. Ce débat sera l’occasion naturelle d’explications impatiemment attendues sur les affaires du Maroc. Le pays ignore complètement jusqu’aujourd’hui et les causes véritables de cette rupture et les projets du gouvernement. La querelle est-elle le résultat de mesures prises par l’ordre même de Muley-Abderraman, ou n’est-elle que l’œuvre d’un fanatisme brutal et indiscipliné ? Avons-nous affaire à l’empereur marocain, ou bien aux bandes armées qui font si souvent trembler le sultan lui-même dans les murs de Fez et de Méquinez ? C’est ce qu’il est impossible de décider d’après les documens publiés et les explications échangées avec plus d’empressement que de convenance au sein du parlement britannique.

Personne n’ignore l’état intérieur de cet empire, où l’ignorance la plus complète entretient un fanatisme sans exemple aujourd’hui dans les autres contrées soumises à l’islamisme. Chacun sait que ce n’est pas sans péril et sans peine que le prince régnant maintient son autorité sur les deux royaumes, divisés de mœurs et de traditions, qui forment son empire. L’état régulier et l’action gouvernementale n’existent qu’aux lieux même où réside, l’habile et prudent Abderraman. Il suffit qu’il franchisse la chaîne de l’Atlas pour que la révolte, éclate sur le versant opposé. Il n’est aucune communication régulière du centre de l’empire aux extrémités, et les tribus s’y combattent