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se croisent dans le tumulte ; il doit se demander avec anxiété qui peut inspirer ces clameurs, ces cris d’enthousiasme et de désespoir qui signalent chaque épreuve parlementaire. Si la physionomie brillante et sereine de notre capitale ne le rassurait complètement sur nos destinées politique, il éprouverait à coup sûr des alarmes bien naturelles dans cette enceinte si agitée. Il ne s’agit pourtant ni du droit de Visite, ni de Taïti, ni du Maroc, ni de l’Orient, ni de l’Espagne, ni de l’Angleterre ; il ne s’agit pas même de savoir qui sera ministre, de M. Guizot ou de M. Thiers, ce qui expliquerait au moins la chaleureuse émotion des partis : il s’agit d’Ostricourt ou de Douai, de Boulogne ou de Dunkerque, et les représentans de la France tout entière ont fini par contracter, sans doute par le contact, la fièvre dont sont dévorées les bandes de délégués qui s’abattent chez eux du matin au soir. Le délégué est un type nouveau, un être à part dont il faudrait écrire la physiologie. C’est le surveillant du député, quelquefois son rival évincé ou son remplaçant futur. Vêtu de son habit, noir et orné de sa cravate blanche, vous le voyez, la liste nominative de la chambre à la main, courir du matin au soir, redouté de tous les cochers de cabriolets et consigné d’avance chez tous les portiers qui ont quelque peu l’esprit de leur état. Le délégué est une menace vivante pour le député qu’il stimule ; sa seule présence contraint ce dernier à aborder la tribune, pour y placer le nom de son clocher, quelque médusé qu’il puisse être par cette épreuve solennelle. L’influence, de cet agent nouveau est, dans la vie parlementaire, beaucoup plus sérieuse qu’on ne le pense.

Cette session aura doté la France de lois d’une véritable importance. La police de la chasse, le système nouveau des patentes et des brevets d’invention, sont des mesures utiles dont le pays saura gré à ses représentans. Six grandes lignes de chemins de fer, mises en cours d’exécution avec plus d’empressement que de prudence, attestent d’une manière beaucoup plus significative encore le dévouement de la chambre aux intérêts matériels. Les intérêts moraux ont eu les honneurs de deux discussions fort brillantes, mais stériles dans leurs résultats définitifs : l’une sur le système pénitentiaire, l’autre sur la liberté de l’enseignement. Quant aux intérêts de l’ordre politique proprement dit, ils n’ont tenu que peu de place dans cette session de sept mois, et l’indifférence dont semble atteint le pays lui-même explique au moins, si elle ne la justifie complètement, l’attitude de la chambre. Une assemblée parlementaire n’aborde les intérêts politiques qu’autant qu’elle y est excitée ou par le sentiment du pays, ou par le pouvoir, ou par l’opposition elle-même. La première incitation n’exista jamais moins qu’en ce moment ; celle du pouvoir s’exerce dans un sens tout contraire, et l’opposition a mis trop peu de fermeté dans ses attaques pour avoir droit de se plaindre de l’indifférence qu’elle rencontre si elle avait compris autrement sa mission et ses devoirs, si, au lieu de quelques discours solennels sur des questions qui passionnent peu le pays, elle avait suivi pied à pied les affaires, relevant les contradictions