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écrasées à leur tour par les argumens qu’elles emploient avec tant de succès et de confiance. Il est à croire qu’un vote d’ajournement réservera la question pour Strasbourg comme pour Lyon. Si le système des compagnie a rencontré une faveur générale pour la ligne heureusement improvisée de Boulogne, c’est qu’il exonère complètement l’état : de telle sorte que cette exception même est une dérogation de plus à cette malencontreuse loi de 1842, que la chambre vient de trouver le moyen de frapper de tous les côtés à la fois.

Il est impossible de ne pas détacher de l’ensemble des intérêts relatifs aux chemins de fer la grave question soulevée par l’article additionnel de M. Crémieux, sur lequel la chambre des pairs est appelée à se prononcer sous peu de jours. C’est ici un débat politique du premier ordre, c’est le principe des incompatibilités trois fois repoussé par la chambre élective en ce qui se rapporte à ses propres membres, qui, sous une forme beaucoup plus générale encore, ne saurait se glisser dans notre législation par une voie indirecte et détournée. Si la chambre des députés, en interdisant à ses membres toute participation à la concession et à l’administration des chemins de fer, a entendu prendre une mesure disciplinaire, elle a excédé les bornes de tous ses droits, comme de toutes les convenances, en l’imposant aux pairs de France. Si l’amendement Crémieux est un acte politique, s’il faut y voir la déclaration d’un principe tout nouveau dans notre organisation constitutionnelle, cette déclaration devait se produire dans la forme accoutumée des projets de loi, avec les longues et solennelles épreuves qui les préparent. Demander à l’entraînement irréfléchi d’une assemblée la sanction d’un principe qu’elle a repoussé jusqu’alors, trancher implicitement la question des fonctionnaires publics par celle des administrateurs de chemins de fer, c’est là un acte qu’il est difficile de ne pas qualifier sévèrement, et sur lequel il n’est pas douteux que la chambre ne revienne. Au surplus, le but qu’on paraissait s’être proposé est atteint : les hommes politiques considérables qui avaient consenti à prêter l’autorité de leur nom à des entreprises estimées avec raison d’utilité publique, sont résolus à refuser désormais un concours auquel les jalousies démocratiques donnent une si étrange interprétation. Il ne saurait leur convenir d’être traduits à la barre de l’opinion, fût-ce même par des rivalités financières cachées sous des dehors de puritanisme ; et du moment où leurs intentions peuvent être méconnues, leur premier devoir et leur premier soin seront d’arracher aux passions l’arme déloyale dont elles se sont saisies. Le rejet de l’amendement Crémieux au Luxembourg et la confirmation de ce vote au Palais-Bourbon seront le dernier acte sérieux des deux chambres.

Ainsi s’avance enfin vers son terme cette longue session, à laquelle la lutte des intérêts locaux a fini par imprimer une animation que n’avaient pu lui communiquer les plus graves problèmes de politique internationale. L’étranger qui pénètre aujourd’hui dans les tribunes de la chambre élective doit s’étonner assurément de ces cris confus, de ces interpellations passionnées qui