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aux passions du moment. Sa plume a tenu ferme sans dévier à droite ou à gauche, sans tomber dans la louange extravagante ou dans la satire de mauvaise foi. Toutes les pièces du procès ont été compulsées avec patience et sont rapportées avec exactitude. La vérité n’est pas tronquée ; il est vrai qu’il lui arrive si souvent de l’être, qu’elle doit avoir pris son parti. L’art non plus n’a pas à se plaindre : le peintre a mis habilement en relief la physionomie grandiose et agitée de Grégoire VII, et la paisible figure de saint François d’Assise. Sans doute, on voit que le pinceau de M. Delécluze se complait aux traits de ce dernier ; mais un historien peut avoir des prédilections, sans cesser pour cela d’être impartial. Il doit la justice à tous, il ne doit pas davantage. Il n’est pas tenu, comme le père de famille, d’aimer également tous ses enfans. Peut-être trouvera-t-on que saint Thomas d’Aquin a été un peu diminué ? C’est ce qu’il nous semble, quoique nous ne partagions pas cependant l’enthousiasme du R. P. Lacordaire, qui, dans sa Vie de saint Dominique, se laisse mystiquement emporter à une sorte d’adoration pour l’auteur de la Somme. En résumé, malgré notre dernière observation, l’Histoire de Grégoire VII est un bon livre, qui, composé dans le calme de la conscience, ne s’attendait pas à tomber au milieu de la mêlée des passions.

Celui qui est bien sûr d’avance de s’adresser à des passions, c’est l’écrivain qui parle de son pays malheureux à ses compatriotes opprimés. M. le comte Balbo, en écrivant ses Espérances de l’Italie, n’ignorait pas qu’il allait parler à un auditoire en colère. Quoique les masses soient assoupies en Italie, il y a toujours des cerveaux en ébullition. Plein de prudence et de réserve, malgré son patriotisme qui n’est pas douteux, M. Balbo s’efforce d’apaiser les passions et les haines, et de s’élever, en traitant des questions brûlantes, à la hauteur d’un publiciste ferme et digne. Que de systèmes, de tous côtés, prétendent à la régénération de l’Italie ! M. Balbo les réfute l’un après l’autre avec sagacité et énergie. Ainsi il prouve victorieusement que fractionner l’Italie en états populaires, en petites républiques, comme le voulaient les insurgés de la Romagne en 1830, serait un crime de lèse- civilisation ; car ce serait détruire ce travail d’unité que les siècles ont accompli chez la plupart des peuples modernes, ce serait revenir au moyen-âge. Il prouve également qu’une confédération des états présens est impossible, tant qu’une grande partie de l’Italie est province étrangère. Il se prononce contre les projets d’insurrection, et n’a pas de peine à démontrer que les insurrections seraient toujours partielles, par conséquent faciles à étouffer ; qu’un soulèvement instantané et général de vingt millions d’hommes ne pourrait avoir lieu que dans un pays où l’on jouirait d’assez de liberté pour communiquer et s’entendre, où l’on pourrait établir sur une vaste échelle le système moderne de l’agitation. Jusque-là tout va bien, et M. Balbo a raison ; mais, lorsqu’après avoir fait table rase des idées des autres, il produit les siennes, le publiciste sensé cède la place à l’utopiste. L’auteur des Espérances de l’Italie base tous ses plans sur une éventualité ; il prévoit la