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Et le dialogue continue sur ce ton ; Thésée s’y mêle, et la déesse réconcilie le père désolé avec son fils : « Je ne connais point, dit M. de Schlegel, de scène plus touchante dans aucune tragédie ancienne ou moderne. » Au moment où elle profère les nobles et clémentes paroles, Diane, qui s’aperçoit qu’Hippolyte va trépasser, termine ainsi : « … Et toi, Hippolyte, je t’exhorte à ne point détester ton père ; c’est ta destinée qui t’a fait périr. Mais reçois mon dernier salut, car il ne m’est pas permis de voir les morts ni de souiller mon regard par des exhalaisons mortelles, et déjà je te vois approcher du moment fatal. » Et elle disparaît.

M. de Schlegel caractérise dignement les beautés pathétiques et pieuses de cette scène : « Nous voyons, dit-il, la majesté immortelle auprès de la jeunesse expirante, les déchiremens du repentir auprès des émotions d’une ame pure. Diane montre pour les maux des humains toute la pitié qui est compatible avec son essence divine ; mais il y a néanmoins dans ses paroles je ne sais quelle empreinte d’une sérénité céleste… Il faudra bien convenir ici que les anciens ont quelquefois deviné les sentimens chrétiens, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus aimant, de plus pur et de plus sublime dans l’ame. » En adhérant aux observations exquises de l’excellent critique, j’avouerai pourtant qu’une chose m’a frappé, au contraire, en lisant ce morceau, en assistant à cette intervention compatissante de la plus chaste des divinités, c’est combien on est loin encore du christianisme, je veux dire du Dieu fait homme et mort pour tous. Quoi ! une déesse à qui les larmes sont interdites, une protectrice qui s’enfuit à l’odeur du mourant ! n’a-t-on pas encore affaire ici à des dieux nés pour l’ambroisie, qui sont esclaves de leur jeunesse et de leur beauté, qui n’osent compromettre leur bonheur ? Et voilà précisément à quoi j’en voulais venir ; les Pascal, les Rancé, ces purs et francs chrétiens, croyaient avant tout à Jésus-Christ dans le christianisme, à un Dieu-homme ayant exactement souffert comme eux et plus qu’eux, ayant sué la sueur d’agonie dans tous ses membres, et l’essuyant de leur, front : de là leur force. Quand Pascal arrive à parler de Jésus-Christ dans son livre, il ne tarit plus : il tient du coup le centre et la clé, l’explication de la misère humaine aussi bien que le fondement de toute grace ; les paroles magnifiques et précises qu’il emploie ne sauraient même se citer hors de place sans se profaner[1]. C’est pour n’avoir pas senti, pour avoir insensiblement oublié à

  1. Voir surtout au tome II, page 341, le passage inédit où l’auteur, ravi dans une tendre contemplation, voit Jésus-Christ présent, converse avec lui, entend sa parole et lui répond : on croirait lire, dit M. Faugère, un chapitre de l’Imitation : « Je pensois à toi dans mon agonie ; j’ai versé telles gouttes de sang pour toi. — Veux-tu qu’il me coûte toujours du sang de mon humanité, sans que tu donnes des larmes ?… » De telles heures d’effusion et de ravissement rachetaient et noyaient bien des angoisses.