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hindous dorment roulés dans de longues pièces de cotonnade blanche pareilles à des linceuls ; le pilote chante à voix basse, et la grue lui répond en jetant au milieu des joncs son cri vibrant comme le timbre sur lequel retentissent les heures. Les oiseaux aquatiques ne sommeillent guère plus que les ruisseaux, qui ne suspendent un son ni leurs cours ni leur murmure.

On jette l’ancre au port de Panwell, il y a aussi loin de la capitale d’une des trois présidences quittées la veille à cet humble village, que de la grande mer cachée derrière les montagnes voisines à la petite rivière si paisible. Cependant Panwell est une place de commerce assez importante et qui lie Bombay avec les villes de l’intérieur, et commande la ligne de communication entre cette île et les petits états de la confédération mahratte englobés désormais dans le territoire de la compagnie. A l’aurore, nous distinguâmes de grosses barques à deux mâts chargées de coton, échouées sur la grève en attendant le reflux ; des chariots, occupaient l’espace d’un quart de mille qui sépare le village de la rivière. Mais, à cette heure, les Hindous ne vaquent point encore aux travaux de leur caste ; ils accomplissent avec un certain recueillement les prescriptions religieuses et hygiéniques qui forment le cadre de leur vie. Dans ces contrées, où l’espèce humaine si multipliée semble s’avilir et perdre de sa valeur, toute homme se rappelle qu’il vient de Dieu ; qu’il soit sorti du pied de Brahma ou de la tête de cette divinité créatrice, que le destin l’ait fait naître pour servir ou pour commander, l’Hindou tient à son enveloppe mortelle, et la soigne comme un temple.

Des bords de la rivière au pied des vallons s’étendent des plaines salines et marécageuses dans lesquelles les Anglais viennent à donner le plaisir de la chasse aux bécassines, leur passe-temps favori. Le village de Panwell est bâti à l’entré des premières gorges de la montagne, et les débris d’un fort antique attestent que cette position avait déterminé les belliqueux habitans de la contrée à en faire une place de guerre. Ce fut Sambadjî, dont les conquêtes reculèrent si loin les bornes de l’empire mahratte, qui détruisit, en 1682, la citadelle devenue nuisible à ses intérêts, parce que les lieutenans d’Amrang-Zèbe s’emparaient de ce point pour isoler leurs ennemis des bonds de la mer, et les empêcher de menacer la côte avec leurs chaloupes armées. Les Européens n’y ont point bâti d’établissemens d’aucun genre, de sorte que Panwell est resté un vaste bazar ombragé de beaux arbres, traversé sans cesse par les caravanes de l’intérieur, retentissant