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pensées publiées isolément. Rendre la religion vénérable et aimable, il y a loin de là à vouloir abêtir, au sens où on l’a pris. Pascal, par l’ordre principal de son livre, était dans la ligne de grands apologistes chrétiens, quoique, plus qu’aucun d’eux sans doute, il serrât de près la gorge à l’homme.

Pascal luttait contre Montaigne, d’une part, pour montrer à cet indolent et à ses pareils les épinés de l’oreiller et l’incertitude du néant ; il luttait contre Descartes, d’autre part, pour montrer à ce superbe et à sa bande le creux et la stérilité morale de leur démonstration métaphysique. Pascal ne croyait nullement à la possibilité ni à l’utilité d’établir au préalable le vestibule philosophique en dehors de la religion Cela peut sembler bien dur. Qu’arrive-t-il pourtant depuis qu’on s’est mis à faire le vestibule si spacieux et si beau ? beaucoup y restent et on n’entre pas.

« Il faut savoir douter où il faut, assurer où il faut, et se soumettre où il faut, » a-t-il dit en une parole déjà connue. Il avait écrit d’abord avec plus de hardiesse « Il faut avoir ces trois qualités : Pyrrhonien, Géomètre ; Chrétien soumis ; et elles s’accordent et se tempèrent, en doutant où il faut, en assurant où il faut, en se soumettant où il faut. » Ce mot-là le résume tout entier, en ses divers aspects : pyrrhonisme et géométrie, ce sont pour lui des méthodes.

Il y aurait illusion aussi à prendre pour des convulsions de sa foi ce qui peut souvent n’avoir été que des brusqueries du talent. Pour preuve qu’elle était, malgré tout, assise et stable en lui, je ne voudrais que sa charité ; car la charité découle de la foi comme la source du rocher. Et quelle charité chez Pascal, et dans ses actions dont quelques-unes ont échappé au mystère, et dans ses paroles où reviennent si souvent des accens d’humanité et de tendresse plus touchans en cette doctrine rigide ! Je renvoie à sa profession de foi[1] qui commence par ces mots : « J’aime la pauvreté, parce que Jésus-Christ l’a aimée. J’aime les biens, parce qu’ils donnent les moyens d’en assister les misérables… » Que ce christianisme vrai et de source vient en démenti aux idées des plus sages païens ! Écoutez Pindare sur la richesse ; à la manière dont il la célèbre, dont il la proclame l’astre glorieux et la vraie lumière des humains[2], on ne sait en vérité s’il n’en fait pas, non-seulement l’accompagnement naturel et le cadre brillant des vertus, mais encore la condition et le moyen

  1. Tome I, page 243.
  2. Olympiques, 2.