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de cette prétention à l’un des hommes de ce temps qui sont le plus faits pour avoir un avis sur Pascal (je ne me permets pas de le désigner autrement), il me fut répondu par quelques-unes de ces paroles énergiques, impatientes, puissamment familières, et qui se gravent : « Et pourquoi ne pas prendre Pascal comme il nous est donné, avec son scepticisme ? Il s’est fait chrétien en enrageant, il est mort à la peine. Je l’aime ainsi ; je l’aime tombant à genoux, se cachant les yeux à deux mains et criant : Je crois, presque au même moment où il lâche d’autres paroles qui feraient craindre le contraire. Lutte du cœur et de l’intelligence ! Son cœur parlait plus haut et faisait taire l’autre. La fin du XVIe siècle lui avait légué ce scepticisme qui circulait alors partout, lui avait mis ce ver au cœur ; il en a triomphé, tout en en mourant. C’est là sa physionomie, c’est ainsi qu’il a sa vraie grandeur. Quelle manie de la lui ôter ! » Mais dans ces paroles même si vives, si poignantes, il y a encore trop de l’homme de ce temps-ci, du Pascal tel que chacun le porte et l’agite en soi, du Pascal d’après Werther et René.

Que si on s’en tient aux récits contemporains et à ses œuvres mêmes, on arrive à quelque chose de plus suivi et de plus cohérent, à quelqu’un de plus réel. Oui, Pascal parfois doute ou a tout l’air de douter, il conçoit et exprime le doute d’une façon terrible, mais c’est aussi qu’il a, qu’il croit avoir le remède. Sa foi, je le pense, fut antérieure à son doute ; lorsque ce doute survint, il ne trouva place que dans l’intervalle de ce qu’on a appelé ses deux conversions, et il fut vite recouvert. Si l’on peut dire qu’il revint à la charge et se logea toujours plus ou moins au sein de sa foi, c’était là une manière, après tout, d’être assez mal logé et mal à l’aise ; et Pascal ne lui laissa, jour et nuit, ni paix ni trêve. M. Vinet a dit à merveille d’un jeune homme de ce temps-ci : « … Le scepticisme, par mille endroits, cherchait à pénétrer dans son esprit ; mais sa foi se fortifiait, grandissait imperturbablement parmi les orages de sa pensée. On peut le dire, le doute et la foi vivante, l’un passager, l’autre immuable, naquirent pour lui le même jour ; comme si Dieu, en laissant l’ennemi pratiquer des brèches dans les ouvrages extérieurs, avait voulu munir le cœur de la place d’un inexpugnable rempart. » Cette belle parole, qui exprime si bien un des mystères de la vie chrétienne intérieure, peut s’appliquer avec beaucoup de vraisemblance au vrai Pascal.

Remarquez encore que chacun porte dans sa philosophie et sa théologie son humeur, ce qu’on oublie trop. Pascal avait l’humeur inquiète et mélancolique : de là son coup d’œil un peu visionnaire. Bossuet avait l’humeur calme : de là en partie sa sérénité de coup