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avec lui-même, passionnément en quête de la vérité et du bonheur ; et alors l’idéalisant un peu, ou plutôt en faisant un type comme on dit, un miroir anticipé de notre âge, on le présente comme le héros et la victime dans la lutte du scepticisme et de la foi, celle-ci triomphant provisoirement en lui, de même que le scepticisme, un siècle plus tard, l’eût emporté Cette manière d’envisager Pascal n’est pas fausse, elle est au point de la perspective, approximative à distance, légèrement figurative. En le voyant ainsi, nous y mettons involontairement du nôtre, nous lui prêtons.

Il m’est arrivé, dans un chapitre de Port-Royal, d’avancer que chacun, plus ou moins, porte en soi son Montaigne, c’est-à-dire sa nature un peu païenne, son moi naturel où le christianisme n’a point passé. On pourrait presque affirmer de même que de nos jours, non point absolument chacun, mais tout esprit sérieux et réfléchi, tout cœur troublé, qui conçoit le doute et qui en triomphe ou qui le combat, porte son Pascal en lui, et, selon les manières diverses de souffrir et de lutter, on conçoit ce Pascal diversement : chacun de nous fait le sien Ce point de vue vaudrait la peine d’être développé peut-être ; mais nous rentrons ici plus que jamais dans les types, et l’homme réel doit s’interroger de plus près.

Eh bien ! si l’on vient à le considérer directement, que voit-on ? Un respectable écrivain, l’abbé Flottes, qui s’est attaché à venger Pascal des accusations de superstition et de fanatisme, a voulu également le justifier de tout soupçon, de toute atteinte de scepticisme, ce qui peut sembler un peu excessif et véritablement inutile[1]. Un jour que je parlais

  1. Revue du Midi, 25 novembre 1843. — M. l’abbé Flottes cite un passage de Mme Perier qui dit de son frère que, dans son enfance et sa première jeunesse, cet esprit si précoce, si actif sur d’autres points, restait soumis comme un enfant en ce qui concernait la foi, et que cette simplicité a régné en lui toute sa vie. Mais, quelque respect qu’on ait pour le témoignage de Mme Perier, on ne peut, dans ce cas, l’accepter totalement sans contrôle. Pour mon compte, j’en accepte volontiers la première partie, ce qui est relatif à la première jeunesse de Pascal, parce qu’il n’y a rien là que de vraisemblable et que Mme Perier était témoin oculaire de cette première période. Quant à ce qu’elle ajoute ici sur le reste de la vie, cela est plus vague et ne tient pas compte des divers temps ; il y a jour à la conjecture. Mme Perier, en effet, a glissé sur l’époque de dissipation de Pascal ; elle n’a pas dévoilé, par exemple ; ses démêlés avec sa sœur Jacqueline, que nous savons d’ailleurs. En un mot, le témoignage ici n’est plus valable en bonne critique : il faut recourir à d’autres preuves. Je ne dis point cela pour réfuter M. l’abbé Flottes, mais pour lui montrer qu’il n’y a pas contradiction ni inconséquence dans une opinion qu’il met en cause.