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qu’en ses ébauches surtout supprimait pour soi cette pensée rapide, parce qu’elle le supposait connu, ce que les amis habituels avaient chance de savoir tout simplement mieux que nous ne le devinons.

Ces demi-questions posées, ces réserves faites, hâtons-nous pour tant de reconnaître ce que nous possédons, ce que nous devons à l’application et à la sagacité pieuse de M. Faugère d’avoir, reconquis pleinement. On aura cette impression très sensible à la lecture des premiers chapitres du second volume, de ces fameux chapitres sur l’homme, son divertissement, ses disproportions, sa grandeur, son néant. On a dit magnifiquement que bien des pensées de Pascal n’étaient que des strophes d’un Byron chrétien : c’est d’aujourd’hui surtout que ce mot se vérifie. Jamais la pensée brusque et haute ne s’était dressée jusqu’ici dans cette entière beauté d’attitude, le ciseau bien souvent n’a fait qu’attaquer le marbre, mais le torse est là debout qui jaillit déjà pour ainsi dire, majestueux : et plutôt brisé qu’inachevé. Oh ! pour le coup, nos bons premiers éditeurs n’avaient en rien l’idée de ce genre de beauté tronquée qui tient de celle de la Vénus de Milo, et, toutes les fois qu’ils avaient rencontré un audacieux fragment ainsi debout, ils l’avaient incliné doucement et couché par terre.

Il est temps d’arriver à la question du fond, à la question capitale, à celle qu’une curiosité, légitime n’a cessé de se faire durant tout ce débat, et qu’il est fâcheux sans doute d’avoir laissé s’enfler au gré de la curiosité frivole. Définitivement, que croyait Pascal, et comment croyait-il ? Quoique j’aie ailleurs à revenir avec étendue sur ce point délicat, je m’en échapperai par avance ici. Au fait, on peut parler hardiment aujourd’hui qu’un texte solide nous est rendu sur lequel nous avons pied ; on le pouvait même auparavant sans risquer de se compromettre. Déjà, dans d’admirables et discrets articles, un homme qu’il y a toujours profit à citer, M. Vinet, avait proféré à ce sujet des paroles qui, si on les avait mieux lues ici, auraient fait loi[1].

Il y a une manière très usitée de prendre Pascal et de le présenter à grands traits dans son ensemble ; nous tous plus ou moins, écrivains de ce siècle, lorsque nous avons parlé de lui à la rencontre, nous sommes tombés dans cette manière-là. On voit en lui du premier coup d’œil un esprit supérieur, au-dessus de tous les préjugés de la société et des opinions humaines, autant que Molière pouvait l’être, mais à la fois un esprit inquiet, ardent, mélancolique, sans cesse aux prises

  1. Voir le Semeur des 22 février, 1er mars et 8 mars 1843, surtout les deux derniers articles.