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chose d’utile, d’édifiant, de digne d’être offert à l’église d’alors et aux fidèles, un volume enfin qui puisse être montré aux amis et aux ennemis. On forme un comité d’amis ; le duc de Roannez est le plus zélé pour la mémoire de son cher Pascal, mais il ne prend rien sur lui, quoi qu’on ait pu dire, et c’est M. Arnauld, c’est M. Nicole et d’autres experts qui tiennent le dez. La famille Perier était bien d’avis de retrancher, de modifier le moins possible : l’intérêt de famille se trouvait d’accord en ce cas : avec l’intérêt littéraire (ce qui est si rare) ; mais il y avait d’autre part des considérations puissantes, invincibles, les approbateurs à satisfaire, l’archevêque à ménager, la paix de l’église à respecter loyalement. C’est merveille, en vérité, qu’entre tous ces écueils, en présence de cette masse de papiers, très peu lisibles, de ces pensées souvent incohérentes, souvent scabreuses, on ait, du premier coup, tiré un petit volume si net, si lumineux, si complet d’apparence, et qui, même avec une ou deux bévues (pour ne rien céler), triompha si incontestablement auprès de tous. On a beau dire après coup sur l’exactitude littéraire, il y avait ici une question de fidélité bien autrement grave et qui dominait tout, et cette fidélité fut respectée des premiers éditeurs. Oui, l’esprit qui présida à cette première édition fut, je ne crains pas de le proclamer (et tout ce qui s’est passé à l’occasion de la dernière vient assez hautement à l’appui), fut, dis-je, un esprit de discrétion, de respect, de ménagement et d’édification pour les lecteurs. L’esprit qui a provoqué cette dernière édition, et que je ne saurais blâmer, puisqu’il est celui que tous, plus ou moins, nous respirons, est-il aussi parfait, aussi irréprochable, chrétiennement ou moralement ? Il est, à coup sûr, plus littéraire, plus artiste ; plus sensible aux beautés de la forme, et j’ajouterai, plus insoucieux du résultat. Je ne le blâme pas encore une fois, mais je le caractérise. Cet esprit se dit, et avec raison : « Mettons tout Pascal quand même ! » — Faisons donc ainsi, puisque c’est le siècle ; mais ne blâmons pas trop les honnêtes devanciers.

Remarquez que je ne parle plus des éditeurs de Pascal durant le XVIIIe siècle ou au commencement de celui-ci ; eux, plus libres, ils auraient pu, ils auraient dû améliorer, réformer peu à peu, à petit bruit, et chacun pour sa part, les éditions successives : ils auraient ainsi évité l’éclat final, ils auraient permis que cette révolution sur Pascal ne se fît pas.

Je reviens et j’insiste, parce que je suis pénétré de la vérité du point de vue. Aujourd’hui, il nous paraît bien facile de juger et de trancher des Pensées de Pascal ; en 1668, c’était un peu autrement. Il était mort