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de surprenant. L’empereur Nicolas et M. de Nesselrode n’ont pas sans doute été poussés à Londres unigtlmnent par la manie des voyages. Il y a des projets de partage de l’empire ottoman dans toutes les cours d’Europe, il y en a eu déjà plusieurs à Londres et à Saint-Pétersbourg ; il ne serait pas étonnant qu’on s’occupât en ce moment de les revoir et de les corriger. Parmi les derniers projets de ce genre qui sont sortis du cerveau de la diplomatie ou de l’imagination des poètes, en voici un assez nouveau et peu connu. C’est la jeune Italie qui le propose. Elle donne Constantinople à la Russie, et fait de la mer Caspienne un lac russe ; elle donne l’Égypte à l’Angleterre. À l’Autriche, elle remet les provinces du Danube et l’embouchure du fleuve ; puis, pour établir des compensations en faveur de certains états, elle remanie la carte de l’Europe. Elle ôte aux uns pour donner aux autres ; elle pousse la France jusqu’aux limites du Rhin, la nation germanique sur une partie du territoire autrichien, la Prusse sur les provinces polonaises. Enfin, Milan et Venise sont retirés à l’Autriche. L’Italie entière, recouvrant son indépendance, forme une confédération d’états. Les deux extrémités de cette confédération, le Piémont et Naples, sont seules destinées à s’agrandir, le Piémont vers le continent, Naples dans les provinces chrétiennes d’Orient. Tels sont les rêves que fait la jeune. Italie, agitée par ses désirs d’indépendance. Elle a besoin de démembrer l’Orient et de remanier l’Europe pour recouvrer sa liberté. Son plan est assez compliqué, comme on voit. Nous doutons que M. de Nesselrode et M. Peel le trouvent de leur goût, mais ils feront bien de considérer attentivement la part qui y est faite à l’Autriche.

Les évènemens suivent, en Espagne et en Grèce, la marche que nous avons déjà indiquée. L’Espagne procède tranquillement aux élections des cortès. Le triomphe du parti modéré est assuré. La nouvelle de la paix conclue cuire l’Espagne et le Maroc s’est confirmée. En Grèce, M. Mavrocordato a fait place à M. Coletti. Le nouveau ministère était désigné par les suffrages du pays. Son système, nettement proclamé, est de rester indépendant au milieu des influences étrangères. Son drapeau sera la nationalité grecque. C’est une politique sage, que tous les amis de la Grèce doivent approuver.

Le différend commercial entre la Prusse et la Belgique est terminé. Ce que nous avions pressenti est arrivé ; le ministère s’est laissé devancer par l’évènement. Il n’a pas su prévoir une réconciliation qui était dans l’ordre naturel des choses, mais que sa prudence eût pu empêcher. M. Guizot, lors de la rupture avec le Zollverein, pouvait offrir à la Belgique une convention favorable aux producteurs belges. Cela seul eût suffi pour empêcher le traité du 111 septembre, ou du moins pour lui donner un caractère moins absolu. M. Guizot mérite de graves reproches dans cette circonstance. Il a été averti ; la question lui a été soumise. Il a même eu un instant la pensée d’agir ; mais il s’est arrêté devant des difficultés de détail qui eussent exigé une solution prompte. Maintenant le mal est fait ; il s’agit d’en diminuer la portée et de trouver des mesures pour garantir les intérêts de la France.


V. de Mars.