Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/1024

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fouiller les tombes d’une main impie, et à souffleter des gloires qui ne méritent que du respect. Cela ne prouve pas que le caractère dominant de la critique ne soit l’éloge banal et intéressé. Oui, la critique est aujourd’hui une magistrature abaissée. Elle se relèvera, non pas en devenant moins sévère, mais en le devenant davantage, en servant la vérité à tous, aux grands comme aux petits, en ne ménageant pas mal à propos les vanités irritables, et en livrant à la littérature industrielle, ce fléau des fléaux, une guerre sans merci. Ne dénigrez personne, soyez juste envers tout le monde, et après cela ne vous inquiétez pas des clameurs que vous suscitez, des morsures que vous font au talon les serpens sous l’herbe. Chacun y gagnera, même ceux qui crieront le plus. Le résultat sera surtout excellent pour la poésie, car il ne s’agit que de la prendre par la main, cette poésie qui a de la force, qui est pleine de ressources, et qui s’égare, faute de direction, dans des routes détournées, à travers des landes infertiles ; il s’agit de la conduire dans le champ préparé qui a reçu la bonne semence et qui attend les moissonneurs.

Gardons-nous donc du découragement, et maintenons les lois éternelles du goût en France, afin que ceux qui se sont trompés puissent revenir sur leurs pas, et que les jeunes, ceux qui arrivent, ne soient pas la dupe d’un faux idéal, et apprennent à marier un art savant à la pensée délicate ou profonde. On s’est plu à répéter que le génie était une royauté. Soit ; mais c’est une royauté qui ne mène bien ses affaires que lorsqu’elle sait combiner habilement les revenus de sa liste civile et ceux du domaine de sa couronne. Or, c’est le style qui est la liste civile du génie, et la pensée qui est son domaine royal.

PAULIN LIMAYRAC.