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point. Encore, si cette école avait eu en partage cette correction tant vantée et si précieuse ! mais non ; la poésie, sous les rayons de l’astre impérial, était froide sans être correcte.

Que venait donc faire l’école nouvelle ? Défendre la cause du vrai lyrisme et celle de la vérité dramatique ; renverser tout d’abord, du haut de son piédestal, cette reine surannée qui a nom la périphrase, et introduire dans des catacombes le souffle du printemps et les rayons du soleil. Elle venait, en un mot, apporter le sentiment et la couleur, c’est-à-dire la vie. C’était bien, il n’y avait qu’à applaudir ; les commencemens, du reste, eurent un air de miracle. Il ne faut pas être ingrat, et je ne veux pas méconnaître les trésors de lyrisme dont la France s’est enrichie en quelques années, trésors bien supérieurs à tout ce que nous possédions en ce genre ; mais je pense qu’à considérer ce qui se passe, à voir tant d’espérances avortées, à entendre tant de redites, à surprendre si souvent le bon sens en défaut, on a le droit de dire à la poésie qu’il s’est commis en son nom bien des fautes et bien des erreurs. D’abord on voulut dénationaliser la muse ; l’esprit littéraire ne resta pas suffisamment français ; on oublia que notre poésie ne peut guère se baigner dans le Rhin sans s’y noyer. Une faute en entraîne une autre ; les fléaux sont bons amis et se tiennent par la main ; ils sont venus ensemble et ont envahi notre champ d’honneur poétique, si bien que ce qui était une brillante renaissance, il y a à peine quelques années, peut devenir bientôt une complète débâcle. — Il y a de ces funestes époques dans les littératures ; avec tout ce qu’il faut pour réussir, on échoue ; le mauvais goût règne et gouverne, et l’on dirait que chacun s’efforce de gâter les dons qu’il a reçus. On porte des mains violentes sur son talent ; grands et petits se suicident à l’envi ; il y a seulement cette différence entre eux : les uns se pendent aux barreaux de leur prison, les autres aux colonnes de leur palais.

Ainsi finissent quelquefois des générations qui étaient entrées dans la vie, bannières déployées, avec les vastes pensées et le long espoir, comme dit le poète, et la postérité, en passant, grave sur leur tombeau le mot terrible de décadence. J’espère qu’elle nous épargnera cette épitaphe, et que nos actions d’éclat la rendront indulgente pour nos défaites ; ce qui est certain, c’est que personne ne survivra tout entier, et que le bagage des plus illustres restera à moitié en chemin. C’est aujourd’hui l’heure des œuvres complètes, ce sera demain celle des anthologies. Heureux ceux qui, dans le difficile trajet, ne perdront que la moitié de leur bagage ! Si l’on garantissait pareille chance à M. de Latouche, à M. Jules Lefèvre, à M. Barthélemy, ils feraient bien, malgré leur incontestable talent, d’accepter la proposition : ils n’y perdraient pas.

Ces trois poètes ne montent plus la colline, et ne pourraient plus, sans anachronisme, invoquer leur jeune Apollon. Ils appartiennent en plein à la génération qui est arrivée si rapidement à son automne, et ils ont par conséquent assisté au réveil poétique d’il y a vingt ans ; mais ils ont assisté à ce mouvement avec des qualités diverses : M. de Latouche en précurseur de hasard,