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plus éhontés, gardent comme esclaves leurs propres enfans, et ces malheureux, vendus à la mort de leur père, ne peuvent jamais se prévaloir de leur origine[1]. Quoique généralement bien traités par les Brésiliens, les esclaves sont soumis à un travail dont la durée dépend de la volonté du maître, les enfans qui naissent sur une habitation ne recevant pas les mêmes soins que dans nos colonies, et les négresses devenues mères n’obtenant aucune diminution de travail, les cas d’avortemens sont très nombreux. On évalue à près de trente mille le nombre d’esclaves qu’on transporte au Brésil chaque année en dépit des croisières anglaises. Ce nombre est à peine suffisant pour combler le déficit annuel de la population noire. Soit qu’il y ait excédant d’hommes sur les habitations, soit par suite d’avortemens, il est rare de voir une habitation où le nombre des naissances égale celui des décès.

Ce n’est que dans leurs rapports avec les esclaves que les Brésiliens s’abandonnent à tous les vices de leur caractère. Vis-à-vis des étrangers, ils savent se contenir. Quand on a, par un long séjour, réussi à découvrir les plaies secrètes de cette société si imparfaitement connue, on est péniblement surpris de la corruption profonde qui se cache sous une réserve apparente. Pour beaucoup de ces hommes, qui n’ont de la civilisation que les vices, rien n’est sacré, ni l’amitié, ni la religion, ni la famille. Tout plie pourtant devant le sentiment de la peur ; l’apparence même du danger suffit pour démoraliser ceux qui ne reculeraient d’ailleurs devant aucun excès. Dans la province de Fernambouc, les assassinats se commettent en plein jour, et les meurtriers se vantent publiquement du nombre et de la qualité des hommes qu’ils ont poignardés. Un Européen faisait un jour remarquer au président de cette province que, si le duel était autorisé, les haines personnelles pouvant se satisfaire par un combat, il y aurait moins d’assassinats. « Croyez-vous donc, répondit le président, qu’un homme offensé consente, pour se venger d’un affront, à risquer sa vie ? Jamais un Brésilien ne commettra semblable folie. » Cette réponse fera juger de ce qu’est le point d’honneur pour la plupart des habitans.

  1. Voici un fait qu’il faut citer, quelque répugnance qu’on éprouve à s’arrêter sur de pareils détails. Deux frères, propriétaires d’habitations considérables dans la province de Rio-Janeiro, ont adopté un système qui leur a valu l’admiration des Brésiliens. L’aîné des fières rendit mères toutes les jeunes esclaves de son frère ; Celui-ci imita l’exemple de son aîné, et les esclaves de l’un et de l’autre craignant, si elles se faisaient avorter, d’encourir un châtiment, le nombre des esclaves augmenta rapidement sur les deux habitations, dont on signale aujourd’hui la prospérité.