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les hommes de soixante ans et au-dessus, qui se souviennent d’avoir autrefois, avant les troubles et les guerres civiles, feuilleté les livres du célèbre idéologue, et ne se doutent guère de la réfutation que ces écrits ont depuis lors subie en Allemagne, en Écosse, en France, partout. Mais qu’avons-nous à faire de ces opinions vieillies qui prochainement s’éteindront de leur belle mort, d’un bout à l’autre de la Péninsule ? Allons où est la vie et l’ardeur philosophique, et si l’avenir ne se laisse point pleinement apercevoir encore, voyons du moins si l’on peut découvrir quelque part l’espérance de l’avenir.

Il ne faut pas se faire illusion sur l’état présent de la philosophie en Espagne. Parmi tous ces jeunes écrivains qui, en législation, en droit public, en économie politique, en histoire, se préoccupent à chaque instant d’idées philosophiques, fort peu jusqu’ici se sont particulièrement livrés à l’étude de la métaphysique et de la psychologie. Quatre seulement ont prouvé qu’ils savaient à quoi s’en tenir sur les plus récens progrès de la science en Europe, don Jaime Balmes dans son Catolicismo comparado con el protestantismo, don Fermin-Gonzalo Moron dans son Historia de la civilizacion et dans les longs fragmens qu’il a publiés déjà d’un Essai sur les sociétés anciennes et modernes, don Julian Sainz y del Rio dans un grand nombre de travaux recueillis par la presse périodique, don Tomas-Garcia Luna dans son cours de philosophie professé à l’Athénée de Madrid, et qui vient de paraître sous le titre de Lecciones eclécticas. Nous aurions voulu, entre tous ces écrits, assigner un rang honorable au livre que M. Martinez de la Rosa a publié dans les commencemens de cette année même, el Espiritu del sîglo (l’Esprit du siècle) ; mais il est extrêmement malaisé, pour ne pas dire impossible, de définir le vrai caractère de ce livre, qui touche à toutes les questions de philosophie, de politique et d’histoire, sans être un livre d’histoire, de politique ou de philosophie. M. Martinez de la Rosa y expose fort longuement les révolutions et les guerres qui ont bouleversé l’Europe dans ces derniers cinquante ans, et nous sommes loin de prétendre que son livre n’ait pas un grand intérêt pour l’Espagne, où personne encore n’a tracé le tableau des vicissitudes sociales au xix« siècle. M. Martinez de la Rosa aurait été mieux inspiré pourtant de borner son horizon et de choisir, parmi tous les problèmes où se trouve engagé l’avenir de son pays, une question de laquelle il eût fait sortir pour la Péninsule quelque fécond enseignement. El Espiritu del siglo renferme du reste les qualités et les défauts habituels de M. Martinez de la Rosa, la pensée élevée, mais souvent indécise et parfois confuse, beaucoup de faits et d’affirmations, fort peu de preuves, point de doctrine, le style pur et orné, mais çà et là maniéré et déclamatoire ; riche et brillant coloris, dessin faible et inexact.

Les jeunes penseurs de l’Espagne, soit qu’ils explorent, comme MM. Balmes et Moron, les phases diverses de l’histoire de la philosophie, soit qu’ils observent, comme MM. Garcia Luna et del Rio, les phénomènes de l’esprit et analysent les faits de la conscience, prennent hautement parti pour les