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résulté que, du premier au dernier chapitre, M. Tapia n’est parvenu à expliquer ni un fait ni une institution. M. Tapia ne se fait point faute de parler des progrès et des revers, ou, si l’on veut, des vicissitudes intellectuelles qui tour à tour ont transformé la société espagnole ; ce ne sont là que de grands mots qui, d’ordinaire, n’ont point de signification réelle, surtout quand on s’en tient à de vagues généralités. M. Tapia craindrait de se fourvoyer, s’il abordait les détails de l’histoire nationale, et c’est pour cela sans doute qu’il ne dit pas même un seul mot des progrès matériels, des vicissitudes du commerce, de l’agriculture et de l’industrie. Vers la fin pourtant, M. Tapia se ravise ; mais, en essayant de pallier, par un petit nombre de considérations abstraites sur l’industrie et le commerce, le défaut capital de son livre, M. Tapia ne réussit qu’à le mieux constater.

Il s’en faut de beaucoup, on le voit, que ce livre embrasse l’éblouissante civilisation d’un grand peuple ; M. Tapia est à peine à la moitié de sa tâche, qu’il semble n’avoir plus à cœur que d’en finir avec un si vaste sujet. Pas de fait auquel il ne touche en passant, pas un dont il parvienne à donner la complète intelligence. A mesure qu’il pénètre dans les âges modernes, la précipitation et la négligence s’accusent de plus en plus : le premier volume est supérieur au second, celui-ci au troisième, qui, à son tour, vaut mieux que les deux derniers. On dirait que, découvrant enfin le terrain immense qu’il s’est chargé d’explorer, M. Tapia perd courage et se fraie à la hâte un tout petit sentier de traverse pour arriver plus aisément jusqu’au bout. Les belles théories historiques, les idées générales, les ambitieuses formules, tout cela est demeuré aux ronces du chemin. La première partie de cette œuvre est la seule qui ait une valeur réelle, et cela n’empêche point que M. Tapia n’y encoure les plus graves critiques. Pour point de départ, M. Tapia adopte la civilisation arabe ; pas un mot, — si ce n’est pourtant çà et là, dans une introduction rapide et superficielle, — de la domination romaine, ni de la domination gothe, qui donnent la clé des problèmes que renferme le moyen-âge espagnol. Et ce n’est pas tout encore : à son début, M. Tapia raconte les expéditions par lesquelles les chrétiens de Cangas et de Covadunga ont peu à peu reconquis le sol sur les Arabes. Pour ce qui est des Arabes eux-mêmes, il se contente de reproduire les incomplètes et confuses relations de Conde. M. Tapia supprime la civilisation arabe, et en cela il imite les rois catholiques qui, après avoir planté leur drapeau sur les tours de Grenade, s’attachèrent à proscrire le nom et jusqu’à la langue de la race vaincue. M. Tapia passe à côté des plus grandes institutions sans même avoir l’air de les apercevoir : rien sur la féodalité de Castille, rien sur les ayuntamientos dans les naissantes poblaciones de l’Aragon. Il semble convaincu que sous la domination gothe les fueros subsistaient déjà : les chrétiens de Pelage ou du roi saint Ferdinand, à mesure qu’ils secouaient le joug du mahométisme, n’avaient d’autre peine, à l’entendre, que de rétablir les lois politiques et civiles qui régissaient la Péninsule sous les Recarède et sous les Euric. C’est là une erreur