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POÈTES ET ROMANCIERS CONTEMPORAINS.

Tout ce qui a porté le trouble dans les croyances religieuses a été aussi pour l’art une cause de révolution. En effet, lorsque les fondemens de la certitude et de la société sont ébranlés, le poète, avant d’exprimer des pensées, des sentimens, doit s’enquérir de leur vérité. Ses devoirs augmentent. Plus heureux que lui, ses devanciers ont pu recevoir des mains de la tradition et de la foi la matière de l’œuvre qu’ils devaient façonner ; mais le poète des temps d’examen et de révolte doit tout fournir, le fond non moins que la forme, et il arrivera qu’il aura pour caractère plutôt la force que la beauté.

C’est la force qui domine dans les œuvres importantes du XVIIIe siècle, aux dépens de l’unité et de l’harmonie. Il s’agissait à la fois de nier une partie des vérités reçues, d’en introduire de nouvelles, et de donner à cette œuvre de destruction et d’enfantement une forme vivante. Pour écrire Candide, les lettres de Saint-Preux et le Père de Famille, il a fallu que les auteurs eussent passé par l’initiation philosophique la plus laborieuse et la plus tourmentée. Ils élevaient leurs monumens avec les ruines qu’ils faisaient eux-mêmes.

En vérité, à la fin du XVIIIe siècle, on eût pu, avec quelque vraisemblance, douter qu’il y eût encore de beaux jours possibles pour les lettres françaises. Tout n’avait-il pas été dit, tant du côté de la tradition que dans le camp de la philosophie ? La foi et la pensée avaient produit chacune leur littérature : oui, mais ni la pensée ni la foi n’étaient épuisées. Avec deux romans, M. de Châteaubriand entreprend une réaction chrétienne, et voilà la guerre qui recommence.

Le caractère de notre littérature au XIXe siècle est polémique. Partout nous y trouvons la lutte et l’effort. Où est la foi commune ? Qu’est devenue cette naïveté féconde de l’artiste qui produit son œuvre sans vouloir en faire une démonstration, un plaidoyer, une attaque, une vengeance ? Soit pour le fond, soit pour la forme, tout a dégénéré en schismes, en divisions. En voici qui, avec un succès inégal, marchent péniblement dans la voie rouverte par l’auteur de René. Desservans plus empressés qu’utiles des autels de l’art chrétien, on les a vus plus d’une fois défigurer à grands frais la religion qu’ils prétendent servir. D’autres, loin du sanctuaire antique, demandent leurs inspirations à la nature, à l’enthousiasme parfois violent et grossier des passions, au culte de l’humaine individualité. Il y a dans la démarche de leur muse quelque chose de hautain et de fier qui étonne, mais le charme est absent. C’est qu’au fond toutes ces ames d’artistes sont troublées. Ni chez les interprètes de la vieille foi, ni chez les chercheurs de croyances nouvelles n’habite la paix, parce que les premiers chantent sans croire,