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Comment, en effet, espérer qu’une scène éclairée par les quinquets d’une rampe puisse nous offrir l’image d’un théâtre inondé de la pure clarté du soleil ? comment supposer qu’enfermés dans les cages incommodes que nous appelons loges, nous puissions nous croire assis au podium de l’hiéron de Bacchus, taillé dans le rocher de l’Acropole, rafraîchi par les brises de la mer Égée, et couronné par le Parthénon ?

De cette première, de cette immense différence qui sépare une fête publique, célébrée à ciel découvert, d’un divertissement qui a lieu de nuit, dans une enceinte fermée, il est résulté nécessairement deux systèmes tout opposés d’architecture, de décorations, de costumes et même de déclamation théâtrale. Ce sont là, suivant moi, des données contraires qui se combattent et qui s’excluent.

En Allemagne, en Angleterre, partout où le climat s’est opposé à l’établissement des théâtres de forme grecque, on conçoit que l’érudition essaie de les parodier de son mieux ; mais en France, en Italie, en Espagne, en Sicile, où subsistent tant de belles ruines théâtrales, si l’on veut jamais, par une pieuse reconnaissance, faire revivre un instant Sophocle ou Aristophane dans tout l’éclat de leur grandeur poétique, c’est sur la scène restaurée des théâtres d’Orange, de Pompéï, de Sagonte et de Taormine, qu’il conviendrait de donner le spectacle de cette imposante résurrection, digne de réunir, comme en un congrès poétique, toute la littérature européenne. Dans nos petites salles, sans jour et sans air, construites pour un autre art et pour d’autres mœurs, il faut désespérer de pouvoir atteindre aux grands effets de la scène antique. Vous doutez ? Examinons.

Vous voulez conserver le chœur, cette partie fondamentale de l’édifice scénique en Grèce ; vous voulez même lui restituer la place que les usages religieux lui avaient assignée dans les solennités du théâtre. Vous avez raison : la séparation constante, absolue, des comédiens et du chœur, est une des lois constitutives de la tragédie grecque ; mais prenez garde. Ce premier pas peut vous mener plus loin que vous ne pensez. Vous n’avez pas envie apparemment de faire marcher vos acteurs sur des cothurnes à échasses, d’armer leurs mains de gantelets rembourrés, ni de couvrir leur tête de masques énormes ; vous ne prétendez pas recourir au gigantesque appareil d’Eschyle et de Sophocle, qui donnait près de sept pieds aux acteurs. C’est cependant pour avoir voulu, comme vous, faire concourir à la même œuvre, sans les confondre sur la même scène, les acteurs, τεχνίται, chargés du drame, et le chœur, chargé des hymnes et des prières, que les