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J’ai traduit les paroles du poète ; mais il n’est pas possible de faire passer dans une traduction le rhythme sonore et métallique, la fine et vigoureuse solidité du style. Cette pièce douce et mâle se détache admirablement surtout du milieu des invectives furieuses qui l’environnent. Une série de sonnets qui terminent le volume attestent aussi, avec le talent très habile de la forme, plus d’élévation et de sérénité. On voit ce que pourrait faire M. Herwegh, s’il consentait à renouveler plus souvent son inspiration, et à prendre d’autres conseils que ceux de la haine et de la colère.

Pour tout résumer, M. Herwegh est vraiment poète ; il est maître d’une forme puissante et impérieuse, et une âme ardente se révèle dans tous ses vers ; mais, malgré la vigueur de sa plume, son talent n’est pas encore aussi ferme, aussi sûr qu’on l’a dit en Allemagne. Sous cette fermeté du langage, il n’est pas difficile de découvrir bien des endroits où la pensée est absente, où l’idée sérieuse fait défaut et appelle la déclamation à son aide. M. Herwegh publie un journal en Suisse, et ses vers nous en avertissent trop souvent. Le poète, chez lui, doit se défier du journaliste ; il faut aussi qu’il craigne la monotonie : des cris de guerre, des provocations belliqueuses, des sermens de haine éternelle, ne peuvent défrayer toute la vie d’un poète véritable. Sans briser sa corde d’airain, il peut varier davantage les concerts de sa muse, et, sortant du cercle étroit où il s’enfermait, s’élever à des régions plus hautes, à un horizon plus vaste. Le second volume des Poésies d’un Vivant, paru il y a quelques mois, ferait craindre que le jeune auteur ne voulût persister long-temps encore dans cette voie ; ce sont toujours les mêmes motifs, et il est permis de regretter pour M. Herwegh cette publication prématurée. Qu’il attende ; qu’il se renouvelle avec sévérité. Un de ses amis, M. Jean Scherr, dans une intéressante notice, lui conseillait dernièrement de s’essayer sur le théâtre : je ne sais si M. Herwegh doit y réussir, je ne sais si sa poésie n’est pas encore trop personnelle pour créer et faire agir des êtres vivans de leur vie propre dans ce cadre si périlleux du drame ; mais, à coup sûr, ces études élevées, ces hautes tentatives poétiques serviraient mieux son talent que les dissipations du journalisme. Je craindrais sérieusement pour cette jeune muse la rhétorique des tribuns de la jeune Allemagne.

Depuis que le succès de M. Herwegh a répandu le goût des vers politiques, les rimeurs sont arrivés en foule. La Suisse surtout est devenue infatigable ; tous les réfugiés ont fait ou feront leur volume. Les recueils de chants patriotiques s’abattent sur l’Allemagne du haut des