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quelques succès, il se fait battre et se sauve en Suisse, où il meurt, en 1523, dans l’île d’Ufnau, sur le lac de Zurich. Cette vie errante, ces grands coups de lance, cette chevalerie de plume et d’épée, tout cela devait attirer M. Herwegh ; et puisqu’il cherchait au XVIe siècle un aïeul et un maître, comment n’aurait-il pas choisi celui que les vieilles éditions représentent avec la couronne des poètes et qu’Albert Dürer a peint tout cuirassé de fer par-dessus sa casaque rouge, fier, debout auprès de son cheval, et sa lance énorme à la main ? M. Herwegh lui emprunte ses cris de guerre, les refrains de ses poésies latines ou allemandes ; il a pour lui une vénération particulière ; négligeant le côté bouffon de sa vie, il voit en lui surtout le chevalier, le bandit, le reître que rien n’épouvante. Cette figure bizarre tient le milieu de sa toile, comme celle de l’empereur dans les œuvres de M. Hugo. Son admiration va un peu loin sans doute, lorsque, dans l’une des pièces principales, il oppose Ulric de Hutten à Napoléon, et Ufnau à Sainte-Hélène ; mais pardonnez-lui son exagération ; il a besoin d’un héros :


«Nous avons besoin d’une grande ombre dont l’esprit flotte sur nos armes, et qui, si nous faiblissons dans la bataille, ranime notre sang avec son sang,

« Ne croyez pas que vous le trouverez là bas, sur ce rocher, dans la mer lointaine. Il est ici un tombeau sans tache ; voici la pierre de l’honneur germanique !

« Comme tremblaient maints fiers édifices, lorsqu’autrefois, aux mauvais jours, avec la bible de Luther, retentissait comme le bruit du glaive la foudroyante parole de Hutten ! »


Il conjure donc son peuple de relever ces énergiques souvenirs et de suspendre dans la cabane du paysan, au lieu du portrait de Bonaparte, l’image du chevalier Ulric de Franconie.

Une fois le glaive tiré, une fois qu’il tient dans sa main la lance d’Ulric de Hutten, le jeune poète sait bien qu’il ne peut plus reculer, et il a raison d’emprunter au vieux maître du XVIe siècle un de ses cris les plus éloquens : ich hab’s gewagt ! c’en est fait, je l’ai osé ! Ulric de Hutten dit quelque part, dans une de ses poésies allemandes : « Ma pauvre mère a beau pleurer en songeant aux choses que j’entreprends ; que Dieu la console ! Il faut marcher. Dût mon projet se briser avant la fin. Dieu le veut, je ne l’abandonnerai pas. Non, j’y emploierai mes pieds et mes mains ; je l’ai osé ! w M. Herwegh répète le même cri de guerre dans la pièce qu’il intitule ; Jacta alea est !


« Je l’ai osé ! ma guerre continue. Je l’ai osé ! Soyez sûrs que ma parole