Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/860

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autres, a trouvé un héritier qui le remplace sans crainte et qui va porter haut la parole. C’est sous ce costume qu’un poète distingué, M. Dingelstedt, nous donne ses vers politiques. Il fait nuit, la ville repose. Le poète, je veux dire le veilleur, prend sa trompe et sa lanterne, et monte aux créneaux de la tour. Durant l’intervalle des heures, il descend et parcourt la ville, en répétant ces vers qu’il emprunte à Béranger et dont il détourne le sens :

Éteignons les lumières
Et rallumons le feu !

Hélas ! il n’est pas aussi gai que M. Hoffmann de Fallersleben ; il est triste, il est pensif, il est mélancolique comme la nuit, il n’aime pas les hommes. Quand toutes les lumières sont bien éteintes, quand la lampe a disparu dans la chambre de ce poète qui demeure là-haut, quand la neige tombe doucement sur le toit, quand les maisons sont noires et silencieuses, quand l’église est déserte et que le cabaret même est abandonné, alors il est heureux ; il est seul, il peut penser, aimer, espérer, il peut s’écrier aussi : « nuit confiante ! ennemie des méchans et bénédiction des bons, ils disent que tu n’es pas l’amie des hommes. nuit ! que je t’aime à cause de cela ! » D’où lui vient donc cette tristesse ? Et pourquoi parle-t-il de l’humanité avec tant d’amertume ? C’est qu’en parcourant la nuit les rues de la ville, il voit plus sûrement, dans la solitude et le silence, tout ce qu’il y a de misères et de mensonges dans les sociétés humaines. Cette prison qu’il rencontre, cette église, ce triste hôpital, tout éveille en lui des réflexions désolées. Il est injuste souvent, mais point jusqu’à la déclamation, et sa plainte a quelque chose de pénétrant et de sincère. Là, voici le crime qui se glisse dans l’ombre ; ici, c’est le vice honteux qui rôde le long des murailles. Là haut, sous le toit, quelle est cette petite lampe qui veille ? Un homme est assis auprès de ses livres ; il écrit : est-ce le poète qui porte dans sa tête Lara ou la Fiancée de Corinthe ? Tandis que tout est si triste dans la ville, y a-t-il des strophes qui s’élèvent pour bénir et purifier la nuit ? Non, hélas ! ce n’est pas un poète, c’est le philistin éternel qui profane la muse divine ; c’est un homme qui aligne des phrases et qui compte des syllabes. Ah ! que ce pauvre veilleur s’ennuie ! S’il se déride un instant, c’est quand il aperçoit sur les remparts ce vieux canon qui lui rappelle les beaux jours de la patrie, ou bien lorsqu’il passe devant l’image de la Vierge et qu’il lui fait une douce prière. Mais quoi ! toujours la même promenade, la même chanson monotone :